Le crapaud - Nicolas Jacquette - Les mouches et leur larve, source de protéine inespérée

Vive les mouches !

En ce temps d’été, les mouches qui nous assaillent de leurs trajectoires fantasques et bruyantes ne sont pas les bienvenues dans nos chaumières. Pourtant, il faudrait les regarder d’un œil plus favorable. Car elles pourraient offrir une sérieuse alternative à l’alimentation animale. Comme l’affirment 2 Britanniques en Afrique du sud.

Le visiteur qui pénètre dans les labos d’AgriProtein, installés dans l’enceinte du campus de l‘université de Stellenbosch ne peut échapper à un haut-le-cœur. Des cages, aussi hautes que la taille d’un homme, où fourmillent, gigotent et se tortillent, dans chaque espace, des dizaines de milliers de larves de mouches d’un blanc pâle peu engageant ?

Résultat d’élevages de l’espèce « musca domestica », ou mouche domestique et pour cause, tant elle se plaît en notre compagnie. En fait l’un des insectes avec la plus vaste aire de répartition au monde, une spécialisation entreprise il y a 65 millions d’années.

Des bombes à protéine

Ces larves, un pactole pour David Drew et son frère, Jason. Chercheurs autant qu’entrepreneurs, l’un a fait carrière dans le domaine des télécoms, créant des sociétés puis les revendant, couronné d’un prix du Financial Times, l’autre, son cadet, vient du monde financier. Qu’ils s’inscrivent tous deux aujourd’hui dans l’action environnementale marque pour eux un nouveau parcours.

De 12 milimètres de long, les asticots dégorgent de protéines, lesquelles, une fois récoltées, séchées et malaxées donnent en poudre un excellent aliment. Bien plus riche que la farine de poisson, le plus courant aujourd’hui dans les élevages pour volaille et porcs et, selon les frères Jason, bien moins chère.

Les océans s’épuisent

Cet aliment a donné naissance à des monstres industriels, alignant des chiffres d’affaires de milliards de $. Mais les réserves halieutiques s’épuisent de façon inquiétante. Selon Drew Jason, à ce rythme, il faudrait doubler le volume des océans d’ici à 2050 pour satisfaire aux besoins. Autant voir ailleurs.

Des larves voraces

Rien de tel avec les mouches. Les femelles ont un cycle de reproduction à rendre jaloux n’importe quel producteur, vivent 14 jours, trouvent le temps de pondre de 500 à 1000 oeufs, libérant des larves au bout d’une journée qui, dès que lâchées dans un compost, « baffrent » comme des ogres.

Certes, voir arriver sur la table du dimanche le poulet nourri aux larves de mouche peut incommoder certains invités, mais a-t-on oublié que les pondeuses, il n’y a pas si longtemps, picorant dans le sol, se nourrissaient entre autres d’asticots, comme le remarque un article de la Süddeutsche Zeitung.

Une première usine destinée à fabriquer ce nouvel aliment verra le jour prochainement en Afrique du sud avec l’objectif d’une production de 5 à 10 tonnes par jour, d’autres sont prévues en Allemagne et Grande Bretagne.

« La qualité du repas à base de larve, sa composante nutritive ainsi que sa digestibilité égale au moins la farine de poisson, dépasse en tout les cas l’aliment à base de soja », ajoute un scientifique.

Championnes de la décomposition

Sorties de leur atout protéiné, les larves s’avèrent également championnes de la digestion de matières organiques en décomposition. Ici l’on fait appel à l’espèce dite « mouche soldat noire » (hermetia illucens), d’origine américaine mais acclimatée à tous les continents. (On sait que le commerce propose en France des vermicompostage à domicile, dont on peut agrémenter son balcon, sous la marque eurolombric)

A Stellenbosch, un employé de AgriProtein vient une fois par semaine prélever des matières fécales dans les toilettes d’un township proche, afin d’étudier à titre expérimental la capacité de l’espèce à gérer et valoriser des déchets humains, qu’elle peut transformer en un rien en une masse sans odeur.

Les aides de la Fondation Bill Gates

Cette brave soldate, qu’on dit 10 fois plus riche en calcium que les collègues d’autres espèces, aide particulièrement au lombricompostage dans les pays chauds, transformant les déchets d’élevage en un engrais pour les plantations, des protéines pour les animaux ou, comme en Indonésie, les tourteaux de palmiste, résidus du traitement de l’huile de palme.

L’affaire intéresse de très près la Fondation Bill Gates, qui a mis 350 000 $ sur la table dans le projet de recherche d’AgriProtein, visant à trouver un système de traitement des excréments humains par le truchement des larves de mouches.

Un nouveau type de sanitaire

Parmi d’autres innovations , elle accorde beaucoup d’importance à promouvoir un nouveau type de toilettes dans les pays en voie de développement. Il y a fort à faire. La cour suprême indienne, pour exemple, a rappelé à toutes les écoles publiques de se doter au plus vite de sanitaires correctes.

Dans ce vaste pays, sans doute plus peuplé que la Chine dans quelques décennies, les défécations à l’air libre, récoltées souvent à main libre par les intouchables, sont responsables de la mort de très nombreux enfants de moins de 5 ans (un million et demi au niveau mondial). Et plus de 2 milliards d’individus ne disposent pas de toilettes convenables.

La dernière grande nouveauté remonte à 1775, fait-on remarquer, avec l’invention de la chasse d’eau.