S.O.S ver de terre

On s’apitoie sur le sort des tigres, des éléphants ou des rhinocéros. Mais monterions-nous au créneau pour défendre les… vers de terre ? Bonne question.  Les lombrics qui fortifient notre sol sont menacés. Et sans actions énergiques, ce pourrait être les prémices d’une vraie catastrophe naturelle.

Dans son très discret habitat, le ver de terre, à l’instar des abeilles,  est essentiel à l’équilibre de l’éco-système. Une sorte de clé de voûte, qui tient tout l’appareillage au-dessus. Or, leur population s’est fortement réduite, on en comptait 2 tonnes à l’hectare en 1950, aujourd’hui 100 kilos, soit 20 fois moins.

Darwin le premier

En se déplaçant dans le sol jusqu’à des profondeurs de 2 mètres, ils en aèrent la composition, une action mécanique indispensable pour mélanger et drainer les couches de terre et leurs éléments fertilisants.

Charles Darwin du reste est l’un des premiers à réhabiliter cet animal fouisseur, après Aristote qui lui reconnaissait déjà une activité biologique essentielle.

Une usine chimique

Dans le même temps, il se nourrit des matières végétales en décomposition, notamment les feuilles mortes et, en les ingérant, leur administre la potion d’une nouvelle fibre microbienne. Bref, dans ce corps peu ragoûtant, une usine chimique en soi (Du reste, des entrepreneurs testent en Afrique du sud le lombric comme incinérateur de déchets domestiques).

Rien de neuf sous notre soleil, c’est le principe de base qui conduit à la lombriculture, de plus en plus pratiquée, les vers consomment les déchets et les rejets qu’ils en laissent apportent un remarquable fertilisant.

Des tonnes de turricules

Parole de jardinier du dimanche, plus la terre du potager regorge de lombrics, plus elle « donnera », selon l’expression populaire. Selon la nature du sol, le climat ou les espèces, le lombric excrète entre 40 et 120 tonnes de turricules, ces rejets caractéristiques à la surface, par an et par hectare.

En d’autres termes toute la terre d’un jardin ou d’un champ passe par son tube digestif en l’espace d’une cinquantaine d’années.

10 000 individus au m2

S’il est utile à l’homme, il l’est tout autant à la petite faune des champs et forets, oiseaux , petits mammifères, reptiles, batraciens, renards, voire les ours, qui apprécient sa richesse en protéines et de ce fait un gros apport en énergie. À l’échelle du globe, la première source de protéines de la gent animalière terrestre.

140 espèces différentes sont à l’œuvre dans l’hexagone (7000 variétés différentes dans le monde entier), avec une densité dans les sols qui varie 10 à 10 000 individus au mètre carré. Mais sur un biotope d’un hectare forestier, parfois de un à deux millions d’individus.

Manque de fumier

On imagine volontiers les causes du déclin annoncé, en l‘occurrence les techniques agricoles modernes (La France a le triste record de l’usage des adjuvants chimiques).

En raison de l’emploi des pesticides, insecticides, engrais de synthèse, et de leur utilisation prolongée, les sols se meurent d’une carence d’amendement humique, et la disparition d’élevages en zone céréalière induit un manque d’apport de fumier.

Un invasif néo-zélandais

Mais le déclin a d’autres causes. Une fois encore à l’exemple des abeilles, dont les ruches sont de plus en plus décimées par le frelon asiatique, le ver de terre subit aujourd’hui les assauts d’un autre destructeur, les redoutables plathelminthes invasifs (soit le ver plat), encore peu connus, originaires de Nouvelle-Zélande, auxquels on ne connaît ni parasites ni prédateurs.

Le danger est connu, en Angleterre cet envahisseur porte la responsabilité de la quasi disparition du lombric, source d’importantes pertes agronomiques.

Au point que le professeur Jean-Lou Justine, du Musée national d’histoire naturelle, lance un appel «  à témoin » en quelque sorte, aux jardiniers amateurs notamment, pour l’aider à dresser la cartographie exacte du fléau en France.

Une campagne WWF ?

Sans pour autant se désintéresser du sort des grands fauves, ne serait-il pas temps qu’on prenne ce problème à bras le corps, interroge le site « Sos-Crise », mais quelle serait le succès d’une campagne du WWF pour la sauvegarde de cet invertébré, hôte souvent mal venu de nos platebandes, s’il vient à poindre son long corps ridé à leur surface ?

Certains se souviennent peut-être que dans les écoles de campagne, dans les années cinquante, l’instituteur invitait les élèves à ramasser et rapporter quelques spécimens en classe, avec une motte de terre. Et cela faisait l’objet ex abrupto d’une leçon de sciences naturelles.

Certes nombre d’enfants s’amusaient à découper un exemplaire en tranches pour simuler l’étal d’un boucher, mais chacun d’eux savait ce que la nature et l’être humain lui devait à tout jamais. Jamais ?