Le crapaud - Nicolas Jacquette - Abeilles, Le désespoir des campagnes

Abeille 2 / Le désespoir des campagnes

La situation est alarmante : les populations d’abeilles en Amérique comme en Europe n’ont cessé de chuter (de 59 % de 1947 à 2005 (Fao). Et cela n’est pas prêt de s’arranger. Car, après l’espoir d’un exil, pour ne pas dire un sauve-qui-peut, dans l’élevage des abeilles en ville, c’est le désespoir dans les campagnes. Désemparés, les apiculteurs doivent aujourd’hui se battre sur 3 fronts à la fois, trop pour la majorité d’entre eux, généralement de petits producteurs.

Sur le premier front, un acarien, le Varroa Destructor, dont le nom, à lui seul, indique déjà son degré de dangerosité. L’apparence d’un petit crabe rouge de 1 à 1,8 mm de long sur 1 mm de large, doté de pattes courtes, qui lui permettent de s’accrocher au corps d’une abeille, un peu à la butinière ce que la tique est aux chiens. Le Varroa femelle va entrer dans les cellules d’ouvrières au stade larvaire, s’immerge dans une sorte de gelée pour échapper aux ouvrières nettoyeuses, y pond ses œufs. Le mal est fait (pour résumer). Accrochée aux abeilles et faux-bourdons, elle migrera ainsi de ruche en ruche.

Hébergeant parfois jusqu’à plusieurs de ces bombes à retardement, qui leur ouvrent la porte aux virus et bactéries avec les malformations encourues par les larves, les abeilles finissent par mourir et toute la colonie est rapidement menacée. En peu de temps, non traitée, la ruche se videra de ses habitants.

Curieusement, le Varroa vit en bonne intelligence avec l’abeille asiatique, Apis Cerana, résultat d’une cohabitation/adaptation réciproque au long des générations, distincte depuis des millénaires de l’occidentale Apis Mellifera. L’évolution est passée par là. On ne s’étonnera pas que le destructeur ait pris pied chez nous à la faveur d’immigration et d’échanges commerciaux.

La conquête occidentale de l’acarien n’est vieille que de quelques dizaines d’années, on le repère pour la première fois en 1967 en Bulgarie, mais s’inscrit deux siècles plut tôt, lorsqu’en 1784 un commandant d’un régiment de dragons russes en poste au Kazakstan se fait envoyer 24 essaims, que lui adresse sa sœur d’Ukraine, décimés dès la première année. Les envois qui suivent survivront, donnant lieu à un commerce florissant et bientôt l’abeille occidentale se fait connaître en Asie. A l’inverse, deux siècles plus tard, un Japonais émigré au Paraguay fait venir des reines et des larves du Japon, sans se rendre compte qu’il va ainsi ouvrir le continent au fameux Varroa.

Déjà confronté à ce parasite, les apiculteurs se battent sur un second front, lui aussi d’Orient, avec le frelon dit asiatique. C’est un Attila qui laisse les larves tranquilles mais mène ses attaques contre les adultes de face. Sa tête et son thorax brun noir en disent long déjà sur ses intentions, il attend à la porte des ruches en vol stationnaire et s’abat sur l’abeille chargée de pollen, la tue en coupant la tête d’un coup de mandibules et l’emporte pour la dépecer. Les reines sont les plus impressionnantes, leur vol fait grand de bruit, (des forteresses volantes, note un observateur) mais une dizaine de frelons suffisent pour faire le vide dans une ruche.

Le crapaud - Nicolas Jacquette - Abeilles en danger, frelon japonais

Curieusement, les abeilles asiatiques ont su développer une stratégie efficace contre cet agresseur . Rapidement entouré d’un commando compact d’ouvrières, lesquelles, en vibrant fortement des ailes, augmentent la température autour du frelon jusqu’à 45o et l’adversaire succombe, victime d’hyperthermie.

Probablement véhiculé dans des conteneurs de marchandises en provenance d’Asie, il entre en scène chez nous en 2004 dans le Lot-et-Garonne, puis en Aquitaine, Périgord, ses effectifs gonflent sans cesse, passent la Loire, déjà en vue en Ile de France. Se détecte par un volumineux nid, ressemblant à du papier mâché, strié de brun et de rouge, sphérique, pouvant atteindre jusqu’à 1 mètre de haut et 80 cm de diamètre. Son dard perfore jusqu’à 6 mm et sa piqûre, plus grave que celle d’une guêpe, peut être fatale à toute personne allergique.

Au congrès de leur Union nationale, les apiculteurs se déclarent « abandonnés » car, plus que le Varroa et le frelon, c’est le troisième front, qui les soucie et depuis longtemps, celui de l’agriculture intensive, ses déversements phytosanitaires et l’intoxication par les pesticides. D’autant que la décision récente d’autoriser le Cruiser, qui sert à enrober les semis de colza, où les abeilles aiment particulièrement à se poser, n’est pas faite pour leur remonter le moral.

Interdit en Allemagne notamment, la toxicité du Cruiser est de loin supérieure au DDT, ses substances remontent dans le nectar et le pollen, s’incrustent dans le sol, et son impact vient s’ajouter aux autres traitements dans les champs. Il en résulte pour les abeilles un affaiblissement de leur organisme, lequel prête un terrain plus que favorable à l’action des acariens.

Le constat est dramatique. Et la lutte dérisoire. D’autant qu’on ne connaît pas à l’heure actuelle de moyen pour se débarrasser du Varroa. Comme le signale au crapaud un apiculteur des Deux Sèvres, chacun bricole dans son coin – moyens mécaniques, huiles essentielles, acide formique, thymol, etc.

Entre temps le Varroa poursuit ses ravages. « On nous dit de laisser faire l’évolution, que les abeilles parviendront bien un jour à vaincre les acariens, à l’image de leurs cousines asiatiques, mais l’évolution ça se mesure en quelle unité de temps «, interroge avec colère cet apiculteur. Et constate que les pouvoirs publics n’ont pas pris la mesure de la gravité du « cataclysme », selon lui, qui frappe aujourd’hui cette activité.

Tout aussi incertain, le combat contre le frelon, reconnu espèce invasive par l’Union européenne. Le Museum d’Histoire Naturelle se limite à conseiller, avant le piégeage des ruches ou l’installation de grilles à l’entrée, la destruction des nids, opération risquée. Des chasseurs ont essayé récemment de se débarrasser d’un nid, en tirant dedans, l’un d’entre eux en est mort. De plus, les pompiers, mal équipés, refusent l’intervention et celle d’une entreprise spécialisée peut monter à des coûts de plusieurs centaines à 2000 €, bourse dont ne disposent pas la plupart des récoltants.

Au congrès, le ministre de l’Agriculture, Bruno Le Maire, s’est voulu confiant. « La préservation des populations d’abeilles en France fait partie des sujets importants », a t-il déclaré. Cela n’a semble-t-il, rassuré personne.