Réfugiés climatiques 2 : St Louis engloutie par les eaux

Dès 2008, l’ONU la désignait comme la ville d’Afrique la plus menacée par la montée des eaux. Le pronostic hélas s’avère. St Louis du Sénégal vit des heures inquiétantes.

Une grande page d’histoire : aux confins de l’océan, du Sahara et de la savane, cette Venise africaine livre à travers son architecture exceptionnelle la richesse de son passé, quel voyageur n’y songe-t-il pas avec émotion !

Elle court des navires de la traite des Noirs aux hydravions de l’aéropostale de Mermoz, de l’affrontement avec les Anglais pour son contrôle à son rôle de capitale de l’ancienne AOF (Afrique occidentale française), regroupant 7 pays voisins devenus indépendants entre temps.

L’étroit mariage avec l’eau

Ville symbole du raffinement et de l’élégance, longtemps meilleure introduction à la découverte de la façade ouest du continent, elle est enregistrée dès l’an 2000 au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, gage d’un afflux touristique.

Ce qui en fait l’autre charme, à l’évidence, c’est son étroite symbiose avec l’eau. Ancrée dans un site amphibie du delta du fleuve Sénégal, elle épouse la côte au plus près par une longue langue de terre, dite de Barbarie, en deuxième « rideau » par l’île St Louis, puis par la presqu’île du Sor.

Barbarie est une curiosité évidente. Cette bande de terre, qui remonte jusqu’à la Mauritanie , n’a que la largeur d’une dune bordée de plages et sépare le fleuve Sénégal sur 25 kilomètres de l’océan.

Des pans de mur

Certes ces plages de sable fin et les nombreux hôtels offrent le plaisir du repos et du dépaysement. Jusqu’à quand ? Car la zone, de formation quaternaire, est particulièrement basse et plate, avec un alignement dunaire peu élevé. Et c’est bien là le souci.

« C’était un très beau village, 15 de mes enfants ont grandi dans cette pièce », remarque un pêcheur de 52 ans. Il n’en reste qu’un pan de mur frappé par le ressac.

Vagues au seuil des chambres

Son village, Doun Baba Diéye a été emporté par le flot de l’Atlantique, bien que situé à 2 kilomètres de la plage. Dernier à fuir les lieux, le chef, Ameth Diagne, se souvient. « Dans la nuit du 17 novembre dernier, j’ai vu les vagues entrer dans les chambres, il était temps de partir ».

800 habitants l’avaient précédé dans cet exil forcé.

En cause, entre autres, l’ouverture d’un canal artificiel, selon le directeur d’ONU Habitat pour l’Afrique.

Crue sur crue

Pour protéger la ville historique, on décide de creuser une longue brèche dans le mince cordon de terre de Barbarie,  qui permet au fleuve de diminuer son niveau suite à des crues de plus en plus nombreuses et aller se perdre dans l’Atlantique.

S’affrontent alors l’important débit du cours d’eau et les assauts de la mer, lesquels grignotent la langue et élargissent le canal. De 17 mètres par jour, selon l’AFP.

Salinisation des terres

Petit à petit, le village de Doun Baba Dièye, premier touché, se retrouve en désagréable vis à vis avec 2 kilomètres de front de mer. Disparues les terres, où l’on cultivait carottes, choux, navets, pastèques, tomates, productions maraîchères qui faisaient vivre la population et l’enrichissait.

Des paysans et éleveurs confrontés à la salinisation de la terre, des pêcheurs au constat que l’avancée de la mer fait disparaître les poissons d’eau douce.

Le funeste canal

Considérée par beaucoup comme une aberration, solution plus politicienne que scientifique prise dans la précipitation en 2003, la brèche entraîne aujourd’hui des conséquences dramatiques sur la vie des hommes et sur les écosystèmes.

Aux dégâts qu’elle a provoqués et aux inondations vient s’ajouter le phénomène naturel de l’érosion du littoral du au changement climatique.

Le souvenir des calèches

Des vagues hautes de 5 mètres déferlent souvent sur Barbarie. Les maisons, hôtels y compris, subissent l’attaque des sels marins : les briques de pierre et de ciment rongées, peinture écaillée, humidité omniprésente.

« Avant nos grands-parents prenaient la calèche pour aller de maison en maison, il y avait trois terrains de football devant notre habitation maintenant recouverts par l’océan », raconte un habitant. Elle dit son émotion, quand un expert annonce une langue de Barbarie rayée de la carte dans 25 ans.

Des maisons à l’équilibre

Un chercheur en géographie de l‘université, le professeur Sy prédit le même sort pour la ville en retrait, avec un océan qui avance d’un mètre par an sur les côtes, une dynamique consécutive de la dégradation bioclimatique et des formes d’adaptation de l’homme.

En certains lieux, notamment à Goxxumbacc, le spectacle est hallucinant, les maisons sont à l’équilibre incertain sur l’extrême bord d’une dune qui s’est creusée de plusieurs mètres.

Perte de sites à nicher

Menacé également l’îlot aux oiseaux du parc national de la langue de Barbarie, où nichent habituellement des milliers de couples de mouettes à tête grise, de goélands railleurs et de sternes royaux.

Les marées entraînant la perte des sites, on observe de moins  en moins de concentrations spectaculaires.

L’on s’inquiète encore de l’est de la ville, construit en partie sur d’anciens marécages, l’eau y stagne, les moustiques y prolifèrent, entraînant en conséquence une recrudescence du paludisme, que les autorités ont semble-t-il, du mal à maîtriser.

Des travaux titanesques

Le professeur Sy tire la sonnette d’alarme. Réagir vite, par la construction d’ouvrages de protection avant que St Louis s’affaisse dans l’océan.

Vu le chantier s’étirant sur des kilomètres et la menace déjà quotidienne sur le littoral, des travaux titanesques en perspective. Mais avant qu’ils soient décidés, financés, planifiés et exécutés….