Vous avez dit 2 degrés, non 4 !

À Bonn, après 2 semaines de débats, les délégués sortent désemparés de la Cop 23 . Car, sur la fin de leurs échanges, survient un appel ravageur de 15 000 scientifiques de 184 pays contre la dégradation catastrophique de l’environnement, considérant que tous les indicateurs sont au rouge.

Grand spécialiste des questions d’environnement et de flux migratoires, François Gemenne souligne ici la nécessité de repenser totalement la réflexion, le débat et l’action sur le climat.

Le crapaud : La Cop 21, vous y croyez encore, titrait récemment le journal Les Échos ? En d’autres termes, les Cop (Conférences des parties) servent-elles encore à quelque chose ?

François Gemenne : Au moins, il y a un texte de référence qui existe, celui de Paris ( Cop 21), comme fait référence celui de la déclaration des Droits de l’homme, même s’il n’est pas respecté partout. En fait, avec l’accord de Paris, beaucoup de gouvernements considèrent qu’ils ont fait le travail, faux, c’est un point de départ, tout reste à faire.

Le climat semblait pesant à Bonn.

F G : Les pays étaient bien embêtés, ils sont plutôt dans l’idée de revoir à la baisse leur engagement avant l’échéance de 2020, au lieu de les amplifier, c’est pourtant ce qu’il faudrait, si l’on veut toujours viser les 2o.

Il semble qu’on travaille désormais sur un autre scenario, celui d’un réchauffement de 4 degrés ?

F G : Cela semblait relever de la science-fiction il y a encore quelques années, aujourd’hui malheureusement ces scenarii deviennent plausibles, il faut tout faire pour les éviter, ne pas les considérer serait d’un aveuglement suicidaire.

On entend dire que les climatologues « flippent », pour preuve l’étude des scientifiques mentionnée plus haut.

F G : D’abord, ils voient que le compte n’y est pas, que leurs prédictions dramatiques se réalisent malheureusement, à partir d’observations mois après mois. Surtout, ils constatent une accélération des choses, le climat est en train de s’emballer et les impacts, notamment accélération des catastrophes naturelles, prévus pour la fin du siècle, pourraient se réaliser dès le milieu de ce siècle.

Quel seraient les mesures à prendre pour répondre à cet énorme défi ?

F G : Dans l’immédiat il faut absolument que les pays revoient a la hausse leurs engagements avant 2020, point crucial de la Cop 23, si l’on n’obtient pas cela a minima, ce sera un échec. En 2 ème lieu, garantir les financements aux pays en voie de développement pour les aider dans leur adaptation au changement climatique. De façon plus macroéconomique, dirais-je, les énergies « fossiles » étant dix fois plus financées que les renouvelables, il faut un plan urgent d’investissement massif pour que les énergies vertes deviennent plus concurrentielles.

Les gouvernements sont d’accord, mais on n’en prend pas le chemin, semble-t-il ?

F G : À priori, tous pourraient être prêts à y aller, à condition que les autres le fassent, un jeu ou chacun se tient dans la négociation, bêtement, tant que l’autre ne bougera pas… Il faut que certains prennent des risques, fassent preuve de courage pour espérer entrainer les autres, en cela ’Europe pourrait jouer un rôle majeur.

La France ?

F G : Je le souhaiterais, mais je ne le vois pas venir pour le moment, elle est plus dans une position attentiste et tient avant tout a protéger ses intérêts, sans prendre trop de risques économiques.

N’est-ce pas le cas de la plupart des pays ?

 F G : C’est le problème de ces négociations, chacun va chercher avant tout à protéger ses propres intérêts avant de poursuivre l’intérêt commun, comprendre que l’intérêt national passe par un objectif commun supranational, pas une évidence pour tout le monde.

La Chine ?

F G : La Chine est soucieuse d’apparaître comme une puissance responsable et fiable, elle a entrepris des mesures importantes pour réduire ses émissions de CO2, mais reste le 1er pollueur au monde et ne souhaite pas un rôle de « leadership » dans la négociation.

Ne pas compter non plus sur les États-Unis ?

F G : Les États-Unis sont définitivement hors jeu, quelque soient les efforts déployés par les opposants à la décision de Donald Trump de sortir de l’accord Paris.

Il y a une notion, plutôt absente des débats actuels, le constat que le climat est une affaire non pas strictement environnementale, mais de géopolitique.

F G : Aujourd’hui, la plupart des problèmes mondiaux du 21 ème siècle, question migrations, santé publique, sécurité, terrorisme seront profondément affectés par les questions de climat. Sans redéfinir une certaine forme de géopolitique au sens premier, en d’autres termes, littéralement, une politique globale de la terre, la terre non pas comme un objet mais un sujet de géopolitique, nous ne saisirons pas le sens profondément politique du climat.

Donc une autre forme des relations internationales ?

F G : Si l’état du monde est déterminé par l’état des relations entre nations, nous allons terriblement nous fourvoyer.

Cela pourrait-il passer par les Nations unies ?

F G : Cela pourrait, à condition que l’Onu accepte de sortir de l’inter-gouvernemental qui la domine pour le moment, c’est un enjeu aussi, réinventons les Nations unies, trouvons-leur un autre nom, pour sortir de cette impasse.

Par ailleurs, nous sommes aussi entrés dans l’ère de l’anthropocène, dite 6 ème extinction de masse, encore une autre dimension du climat.

F G : Non seulement un signal géologique mais aussi politique fort, qui transforme considérablement notre rapport à la terre, aujourd’hui un des plus forts marqueurs du climat. Pour la 1ère fois, l’espèce humaine – et la biodiversité du monde, est confrontée à la perspective de sa propre disparition, d’où plus largement cette idée qu’on ne peut plus considérer la terre et le monde, donc nos sociétés, comme 2 entités distinctes, au contraire qu’ils forment une seule entité, c’est la transformation impérative des relations internationales aujourd’hui.

Cela remet en cause en quelque sorte les souverainetés nationales ?

F G : Dans un monde, où nous sommes tous liés les uns aux autres par le changement climatique, c’est forcément passer par des mécanismes de gouvernement supranational, cette supranationalité, refusée par beaucoup. L’Europe pourrait servir de modèle, finalement seul exemple d’états qui ont pu transférer une partie de souveraineté à un organe commun, une gouvernance à plus large échelle.

Ajoutons à tout cela le problème des migrations, près de 24 millions de personnes déplacées dans le monde.

F G  : Cela s’impose à nous dès a présent, ni une crainte ou menace future mais une réalité bel et bien présente. Quelque part, en effet, la question du climat et de l’environnement s’invite dans le grand débat sur les politiques migratoires, pour peu que l’on accepte de considérer que ces gens ne se déplacent pas uniquement pour des raisons économiques et politiques, catégorisations arbitraires. Bien des migrants relèvent de populations prises au piège d’événements environnementaux

Vous croyez encore à la possibilité de nous tirer d’affaire ?

F G : On n’a pas le choix d’y croire ou non, les gens sur le pont du Titanic n’avaient pas le loisir de se demander , est-ce que je crois à la possibilité de ma survie ou vais-je accepter de mourir, il fallait essayer de se sauver, c’est la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui.

 

François Gemenne est directeur du programme de recherche « Politiques de la Terre » à Sciences Po et chercheur qualifié à l’Université de Liège, parmi bien d’autres responsabilités et distinctions