Votre ferme au coin de la rue

Le Salon de l’Agriculture, qui vient de fermer ses portes, a fait étalage une fois encore des richesses qu’offrent les campagnes françaises, dans la tradition comme dans l’innovation, aussi des difficultés qu’elles affrontent. Mais il est un mouvement de fond, qui n’a pas son stand officiel dans les allées des pavillons, les circuits courts alimentaires.

De la Rome antique avec les premiers forums aux marchés locaux réinventés au Moyen Âge, les paysans ont toujours cherché à vendre leur production directement aux chalands, via un nombre réduit d’intermédiaires. Forme archaïque de sociabilité mais aussi moyen privilégié d’emprise et de développement local.

Poissons au mercure

La tradition s’est perdue par la suite avec l’agro-industrialisation et l’avènement de la grande distribution pour la France. Cependant la tragédie de Minimata (Japon), fin des années 50, et la contamination des poissons au mercure liée à des effluents industriels, remet à l’esprit fonction et pouvoir des réseaux locaux.

Malgré le nombre croissant de décès ( 2 000 morts) et de malformations, et les efforts des industriels pour éviter le scandale, des habitants de cette petite île de Kyûshû, se regroupant avec des médecins, des chercheurs et des paysans, vont s’engager à travers un contrat pour garantir l’achat de productions sans intrants chimiques.

Peurs et scandales

«  Ce sont les peurs alimentaires, la crise de la vache folle en Grande Bretagne, en fait chaque scandale qui encourage un nombre croissant de consommateurs à acheter le plus direct possible, question de se rassurer, note la spécialiste Yuna Chiffoleau, ingénieur agronome de l’Inra. Glyphosate, lait contaminé, viande avariée, l’on veut retrouver la confiance dans son assiette ».

En France, les circuits courts alimentaires sont en plein renouvellement. Notamment grâce à l’action entreprise en 2009 par Michel Barnier, à l’époque Ministre de l’agriculture.

Objectifs multiples

L’objectif s’affirme, multiple : maintenir des fermes à taille humaine, permettre un prix juste, favoriser une agriculture propre qui privilégie l’aspect  écologique, soutenir l’économie locale, entretenir le patrimoine paysager. Enfin, incidemment, aider à maintenir la biodiversité, dont l’état ne cesse d’inquiéter.

Dans toutes ces formes de distribution directe, les règles sont celles que le consommateur impose plus ou moins sciemment : s’ils souhaitent contourner le supermarché, autant faire se peut, c’est pour être sûr  de mettre la main sur des produits plus goûteux, plus frais, plus typiques, plus riches nutritionnellement.

Réflexions laconiques

« Madame, c’est pas en vendant quatre lapins le dimanche après-midi à de pauvres touristes qui se seraient perdus en route qu’on sauvera la ferme France ». Réflexion laconique d’un responsable agricole, voici une vingtaine d’années.

« Pour moi, les détracteurs me ramènent toujours aux mêmes remarques, c’est anecdotique, ça ne représente rien économiquement », déclare encore Yuna Chiffoleau au Crapaud. Faux.

Apprentissage réciproque

Les échanges en circuit court représentaient déjà 10 % des achats en 2013, ils doubleront probablement dans les années qui viennent. Acheteurs comme producteurs ont tout à y gagner. «  Une forme d’apprentissage réciproque en quelque sorte, qui  au bout du compte impacte l’ensemble du commerce alimentaire.

Plus le premier est en contact avec le second, plus il deviendra exigeant et regardant, même devant les rayons du supermarché. De même,  agriculteurs et maraichers, confrontés aux demandes ou souhaits des clients, se réapproprient ainsi en quelque sorte leur métier et d’éventuelles nouvelles exigences ou techniques de travail.

Néo-ruraux en précarité

Dans les années 2000, face notamment au nombre affolant d’exploitations qui disparaissent, le milieu agricole ne peut assurer son renouvellement et voit arriver des néo-ruraux, en mal d’espace et de grand air. L’aventure rurale s’offre aussi en refuge aux populations précaires, en particulier femmes seules avec enfants.

Voici Madeleine, pour ne citer que ce cas, échouée après bien des galères sur un bout de terre familial. Elle produit quelques légumes, élève quelques poules, qu’elle vend en partie à l’école où vont ses enfants. Rmiste , elle ne peut être reconnue exploitante agricole. Personne ne l’aide. « Une femme en agriculture, c’est jamais bien vu surtout quand on vient pas du coin », remarque-t-elle sans acrimonie.

Un bel étal

Par un voisin, elle obtient une dérogation pour vendre ses produits au marché local, ne tarde à s’y faire connaître, tant elle sait les présenter avec originalité, sur un « bel étal », boites d’oeufs décorées, légumes présentés dans de jolis paniers. De plus elle engage des activités avec les gamins de passage.

Aujourd’hui elle a intégré un petit groupe de producteurs qui coopèrent, échangent produits et conseils et commence sans doute à se sentir un peu sortie d’affaire.

Foisonnement sans pareil

Ces dernières années, les circuits courts ont vécu un foisonnement sans pareil. Citons, dès 1991, la création des Amap, réseau par lequel le consommateur s’engage financièrement à acheter des paniers-produits d’une  ferme.

Ou la « Ruche qui dit oui », qui commercialise par l’intermédiaire d’une plate-forme en ligne produits agricoles y compris produits transformés, et compte 1 200 antennes,  270 000 membres actifs, 8 000 producteurs et artisans, 2 000 références.

L’ère des conso-acteurs que complètent un formidable fourmillement d’initiatives. Réseau rural, Boutiques paysannes, Groupements d’achats pour se fournir en demi-gros (souvent avec l’appui des Comités d’entreprises), supermarché collaboratifs, où l’on apparaît à la fois comme client et travailleur bénévole… Même les coopératives (Coop), qui avaient sombré dans les années 60, retrouvent la faveur de la clientèle.

Les circuits courts, à eux seuls, ne résoudront pas les problèmes actuels de l’agriculture. Mais, comme dans d’autres domaines, ils amorcent une autre forme de transition écologique, celle des conso-acteurs dans le partage et l’échange avec un monde agricole revigoré.

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« Les circuits courts alimentaires », par Yuna Chiffoleau, aux Éditions érès