Vilmorin ou l’odyssée de la pomme de terre

Grâce à Parmentier, la population française a découvert la pomme de terre, lit-on dans les manuels. C’est oublier que l’on doit très largement sa propagation dans nos foyers  à la Société Vilmorin-Andrieux. On célèbre cette année son bicentenaire.

Il fait froid en cette année 1747, les récoles sont abimées, la famine désespère les chaumières. Parmentier vient de rentrer en France, après plusieurs mois passés en Allemagne, comme prisonnier de guerre.

Durant sa captivité, ce pharmacien militaire et agronome est envoyé par l’armée prussienne travailler aux champs, contraint entre autres de se nourrir d’une bouillie de pommes de terre, déjà cultivées outre-Rhin.

Trente plants

À la Société royale d’acclimatation (aujourd’hui Muséum d’Histoire Naturelle), où l’on reçoit et échange les végétaux, Parmentier, après son retour, fait la connaissance de Philippe-Victoire de Vilmorin, mentionne la trentaine de pieds  de pommes de terre qu’il a rapportés d’Allemagne et va les lui confier.

Ces deux noms, Antoine Parmentier et Philippe-Victoire, marquent dans ses prémices la passionnante conquête en France du tubercule et, parallèlement, l’épopée de la société Vilmorin.

Pérégrinations en Europe

Avec des origines qui remontent à environ 8000 ans dans la Cordillère des Andes, la pomme de terre, à ce stade, a de longues pérégrinations derrière elle, Espagne, Pontificat italien, Suisse, Allemagne, pour une première vague, puis les Canaries, Angleterre et Amérique du nord, via l’immigration irlandaise.

Chez nous, les paysans s’en nourrissent déjà, notamment en Bretagne et en Bordelais par les liens avec l’Angleterre, aussi en Alsace et Lorraine, dont Philippe – Victoire est originaire. Les bourgeois la consomment par une sorte d’affectation.

Plante du diable

Mais elle a mauvaise presse aux yeux de l’église ( catholique ), comme le signale au crapaud, Christian Sifre *. La voici jugée « plante du diable », juste bonne à donner aux animaux.

Car elle pousse dans la noirceur de la terre, ses racines prennent des formes humaines ; récoltées, non calibrées, elle peut rappeler le ventre de femmes un peu rondes. On lui prête les mêmes méfaits que la mandragore…

Un dîner de patates

Parmentier prend la main. Il organise un fameux dîner à la table du Gouverneur des Invalides, où les invités de marque viennent « goûter » à une vingtaine de plats, tous constitués de pomme de terre.

La méfiance persiste pour ce que la presse nomme pourtant la « découverte la plus importante du siècle ». Selon la légende, le pharmacien aurait alors usé du stratagème de faire garder un champ cultivé par des hommes en armes le jour, pas la nuit.

Semences gratuites

Les gens du peuple seraient venus subrepticement « chiper » les « patates » dans l’obscurité, pensant qu’il s’agit d’un mets de choix  seulement réservé au Roi et aux Grands de la Cour…

À la veille de la révolution française, une nouvelle disette mine les campagnes, semences perdues. Première action d’éclat, les Vilmorin entreprennent de distribuer gratuitement aux paysans ces semences de pommes de terre, qui leur manquent.

La paysannerie leur en sait gré, de même que le Comité de salut public, dont ils sont immédiatement des membres très actifs.

Trop de rumeurs

Néanmoins, la résistance au féculant ne faiblit pas. Les céréaliers voient arriver avec déplaisir un concurrent pour leur propre production (le pain étant alors un des essentiels de l’alimentation). Et font courir la rumeur qu’il est toxique, donne la lèpre.

Le clergé bataille également, il perçoit vite, face à la possibilité pour chacun de cultiver la pomme de terre, même dans un bout de jardin derrière sa maison, qu’il va perdre la dime qu’il prélève sur le blé.

Un fameux herbier

Les Vilmorin vont répondre par une véritable campagne de promotion, développer une collection d’une vingtaine de plants-mères, les faire connaître, en acheter d’autres dans le monde entier et les croiser. Créer le fameux herbier Parmentier, afin de les décrire.

Et, évidemment, commercialiser les semences, qui, aux alentours de 1920, compteront dans leur catalogue près de 2000 variétés différentes.

La banlieue après les quais

De même qu’ils mettront à leur actif le développement de la betterave à sucre, pour répondre au blocus continental imposé à la France de Napoléon, blocus qui bloque l’importation de canne à sucre provenant des Antilles.

L’entreprise ne cessant de grandir, elle quitte Paris pour s’installer, non loin, à Verrières le Buisson (Essonne), où s’offre à elle un château et de vestes champs de culture.

Une école de la pomme

Si, en 1972, elle a disparu en tant que telle – le catalogue porte toujours son nom, elle a inscrit dans son histoire nombre d’avancées, d’une École de la pomme de terre à la création de diverses sociétés agronomiques, de la signature d’artistes naturalistes pour décrire plants et fruits aux premiers films publicitaires.

Et la graineterie, ouverte depuis la fin du 18 ème siècle, quai de la Mégisserie, existe toujours.

Un légume « écologique »

La pomme de terre se cultive depuis le néolithique avec ses heures de gloire chez les Aztèques, facile à cultiver, pas exigeante en termes de surface, sans trop de travail du sol et rustique quand aux conditions climatiques, presque un légume « écologique ».

Au fil des siècles, elle a nourri des millions d’hommes parmi les plus démunis, les Français en consomment encore de 50 à 55 kg/an par personne ( 95 kgs en 1960).

Révolution industrielle

Mais l’on n’oubliera pas le rôle qu’elle a joué dans la révolution industrielle au 19 ème siècle, « offrant une nourriture économique aux ouvriers se pressant de plus en plus nombreux dans les villes, aux portes des usines ».

Un rôle que Friedrich Engels lui-même, en 1884, dans son ouvrage L’Origine des familles, déclarera « révolutionnaire « .

 

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lecrapaud.fr remercie chaleureusement Christian Sifre, directeur adjoint des services techniques de Verrières le Buisson pour son impressionnant savoir sur l’histoire de la société Vilmorin et l’Herbier Parmentier

Notons aussi l’ouvrage paru aux Éditions Delachaux et Niestle, « La Saga des Vilmorin «