Liniger Fiess - humain et smartphone : maître ou esclave ?

Smartphone, esclave ou maître

Addictif pour beaucoup, le smartphone, en d’autres termes notre portable, ne va-t-il pas devenir notre « Troisième Cerveau » ? Pierre-Marc de Biasi, directeur de recherche émérite, en pose la réflexion dans un essai récemment paru au Journal du Cnrs.

De plus, en intégrant cet outil dans tout ce qu’Internet met à notre disposition présentement sous couvert d’Intelligence artificielle, émerge une autre question : notre terre fournira-t-elle suffisamment d’énergie pour faire tourner le molosse, au vu de son appétit et fulgurant développement ?

 

Les chiffres sont là. 9 utilisateurs sur 10 du portable n’arrivent pas à s’en séparer, quelle que soit leur activité du moment, et le consulte près de 100 fois par jour. Un tiers d’entre eux admet être entré dans une situation de forte dépendance.

Serviteur zélé

Pierre-Marc Biasi aime à le comparer au silex paléolithique, premier outil de l’être humain : taillé pour la main, il nous confère des super pouvoirs et augmente notre maîtrise de l’environnement. Mais, à ses yeux, cette relation conduit tout droit à la dialectique du maître et de l’esclave.

«  Nous sommes les maîtres, ils sont nos esclaves. Certes, mais plus nous lui déléguons de tâches, plus il accroît ses compétences tant pour satisfaire et anticiper nos besoins et désirs. Ainsi, le petit serviteur zélé finit par devenir le maître de ses maîtres ».

Récompense

Qui sera encore capable dans quelques années, poursuit-il, de lire une carte ou de s’orienter sans l’appli « géolocalisation « ? Calculer une somme  sans calculette ? Retenir un numéro de téléphone ? Nos facultés cognitives, lesquelles sollicitent la mémoire, seront mises peu à peu au rebus. Ainsi on nous apprend à désapprendre.

Notre attention aussi se dégrade, car, sollicité par des salves de messages, informations, alertes, sollicitations, nous avons du mal à fixer notre pensée plus de quinze secondes sur le même sujet.  » Chaque fois que je clique, je suis récompensé, une sorte de molécule du plaisir, liée à la surprise et à l’inattendu. »

Rester connecté par peur de rater quelque chose. Sans oublier ce fait que l’instrument offre un lien immédiat avec l’ensemble des événements et activités de la planète.

Manipulations

Au fur et à mesure de vos interactions multiples et diverses, lui en vient à retenir et parfaire vos données personnelles, vos algorithmes et vous transforme en un consommateur, à qui il sera aisé de vendre biens et services.

Échanger ce genre d’éléments dans votre profil n’est pas raisonnable. « Si vous vous vendez, l’on vous revendra ». À quoi s’ajoutent de possibles manipulations politiques, comme lors de l’élection de Donald Trump.

Déficit

Il est difficile d’imaginer, poursuit Pierre-Marc Biasi, qu’il demeure un objet inoffensif. Même s’il nourrit nombre d’initiatives de démocratie directe, de projets associatifs, de réduction de notre empreinte écologique.

Au service actuellement d’un capitalisme qui ne voit dans l’individu qu’un consommateur résumé à ses habitudes de votre vie forcément enregistrées quelque part, on commence à mesurer les risques grandissants qu’il offre dans les moyens de contrôle et de manipulation, collectifs et individuels.

Consommation

Dans une autre perspective, notons qu’Internet, pour brûler beaucoup d’énergie, n’est pas une technologie propre. En tenant compte de l’ensemble des technologies disponibles, à savoir smartphones, datas bases, messageries, cloud, réseaux sociaux, le site « Influenceurs du Web » dresse un intéressant constat.

Si Internet était un pays, il aurait plus de 4 milliards d’habitants, serait le 6ème consommateur d’énergie au monde, le 7ème émetteur de Co2 ( en  2015 ), aurait épuisé 1 000 TW/h, 4 % de la consommation mondiale ou l’équivalent de 40 centrales nucléaires.

Impact

Chacun des 182 centres de données relevés en 2016 et disséminés sur notre territoire consomme autant d’électricité qu’une ville de 30 000 habitants et représente 60 à 70 % de son coût d’exploitation énergétique.

Alors, on s’inquiète à juste titre de leur impact écologique. Les solutions sont connues. Entre autres, optimiser la gestion du refroidissement des serveurs, récupérer la chaleur dégagée pour des chauffages de locaux collectifs, éviter les calculs inutiles…

Dans ce domaine, les géants américains  de l’Internet ont déjà une longueur d’avance. Ils localisent leurs centres dans les pays du nord, où l’air est froid, comme le note « Influenceurs », Facebook en Suède, Google en Finlande. Quant à Orange, il a opté pour la technique du « free cooling » dans un lieu HQE en Normandie.

Survie

Aidés par leur formidable capacité d’investissement et leur maîtrise de l’IA, les GAFA ont aussi engagé leur propre production d’électricité. Alphajet, maison-mère de Google, vient d’investir 2,5 milliards de $ dans 22 grands projets d’énergies renouvelables. Production qu’il pourra revendre éventuellement à des entreprises ou des particuliers.

Il s’agit d’assurer coûte que coûte leur approvisionnement et donc leur survie. Car si la Toile continue d’être aussi énergivore, compte tenu des autres et immenses besoins industriels et sociétaux, le mathématicien Cedric Vilani l’a dit tout net dans une récente conférence à Verrières le Buisson (Essonne), « on va droit dans le mur ».

Le Smartphone, poison ou remède ? CNRS Le journal – 18/05/2019

Impact énergétique des datacenters – Influenceurs du web – 18/05/2019