Mauvais vents sur l’Arctique

Il y a peu, on se plaisait à annoncer l’avis de décès du pétrole, dont les réserves mondiales semblaient s’amenuiser. Mais jamais l’on n’a extirpé autant de ce fossile noir qu’aux États-Unis par fracturation du gaz de schiste, au point de rendre le pays énergétiquement indépendant.

Beaucoup n’est jamais assez. Voici que les regards se portent vers l’Alaska, avec la décision du gouvernement américain d’ouvrir une réserve naturelle à l’exploration pétrolière.

Deux bœufs musqués sur fond de paysage d’une beauté à couper le souffle, c’est ainsi que la revue National Geographic ouvre dans son numéro de juin une série de reportages sur l’Arctique et les menaces qui le cernent.

La photo, une vue prise de la réserve naturelle nationale (Arctic National Wildlife Refuge), en fait une plaine côtière de 6070 km de long, au nord du cercle polaire. Jusqu’alors un pays sans limite, un des derniers paysages authentiquement vierges, s’extasie le photographe Florian Schulz et, par conséquence, un écosystème intact.

Rêves

Mais voilà, son sous-sol est riche, trop riche, il recèlerait 7,7 milliards de barils de pétrole. Alerté, le Congrès américain a voté la création de la réserve dès 1980, se laissant la possibilité d’en exploiter les richesses minérales un jour. Depuis, la réserve hante les rêves d’une partie des élus républicains.

En près de 40 ans, ils ont tenté une douzaine fois sans succès de décadenasser le territoire, une sénatrice de l’Alaska, Lisa Murkowski, vient de les libérer de cette frustration répétée en autorisant les forages exploratoires.

Manne

C’est que l’Alaska, longtemps chantée et prisée comme la « dernière frontière », est dans la mouise financière. Certes l‘industrie pétrolière finance 90% de son budget et ses habitants vivent, semble-t-il, dans un pays de cocagne. Ni Tva, ni impôt sur le revenu, de plus les pétroliers assurent un dividende de 1000 $ par an à chacun d’entre eux, issu d’une taxe sur l’acheminent du fossile par le pipe line North Slope.

Mais l’oléoduc risque de ne plus assurer cette manne, la production alaskanne pourrait ne pas résister à celle, galopante, provenant du gaz de schiste, ni au maintien de prix bas. Avec éventuellement 300 000 emplois en question. Entre temps le déficit de l’État se chiffre par milliards de $.

Émerveillements

Les forages n’interviendront pas avant de nombreuses années, selon les experts. Mais dans le reste des États-Unis, la perspective est vue différemment. Où mettre le curseur, du côté des Alaskans, satisfaire leur intérêt (et leur dette) ou du côté de chaque citoyen désireux de défendre une nature préservée et sauvage, comme le relève un universitaire d’Anchorage ?

Car les 78 000 km2 de la réserve multiplie les émerveillements, de la taïga au sud vers les prairies alpines de la chaine de Brooks jusqu’aux vallonnements de la toundra pour plonger ensuite dans la mer de Beaufort. Ici quelques cabanes éparses, trace d’une rare présence humaine, surtout la vision d’immenses troupeaux de rennes, pour la harde de la rivière Porcupine près de 218 000 têtes, un record.

Baromètre

Le pétrole n’est hélas qu’une des alertes. Avec une augmentation des températures deux fois plus intense, les régions arctiques s’offrent comme un baromètre pertinent du changement climatique et des dégâts, dégradation de la faune et de la flore, qu’il entraine.

Du fait du verdissement de la toundra, nouvellement colonisée par une végétation d’arbres et de buissons, les rennes ne trouvent plus dans l’herbe rase ce petit rongeur, le lemming, dont ils se nourrissent avec beaucoup d’espèces locales. Huit d’entre elles sont dans l’œil inquiet de l’Organisme de conservation ( Conservation of Artic Flora and Fauna ).

Polluants

Ours blanc, boeuf musqué, renard arctique, harfang des neiges, mouette noire, mergule marin (l’oiseau qui réussit à plonger à 50 m de profondeur dans l’eau). Et des espèces marines, morue polaire, beluga et narval, perturbés dans leurs voies migratoires par les conditions d’englacement aléatoires et de plus en plus sensibles aux polluants dans l’océan.

C’est ainsi, qu’au terme de 3 expéditions, des équipes de scientifiques, examinant les carottes glaciaires recueillies dans 5 zones de l’océan, ont constaté 17 types de plastiques différents, polyéthylène, polyester, acétate de cellulose (les filtres de cigarette), entre autres, tous figés dans la glace. Aussi des restes de peinture et de nylon.

Croisements

Ce qui les a frappés, l’extrême concentration de microdébris, entre 1000 à 12 000 particules par litre d’eau. Eux aussi enfermés dans la glace. Bien plus dangereux, ingérables glace fondue, que les morceaux de plastique qui, en s’accumulant, créent une sorte de nouveau continent (gire) à la surface de l’eau.

D’ici à 2050, la banquise pourrait encore beaucoup perdre de sa superficie. Chassant dès à présent l’ours brun du sud vers son collègue blanc du nord. Les croisements sont en cours. Au moins leur a-t-on trouvé un nom, pizzly.

Les informations sont extraites de plusieurs articles parus dans le numéro de juin 2018 de National Geographic, édition française.

 

 

Article : Robert Fiess / Dessin d’actualité : Jérôme Liniger / Mise en couleur : Achille Bourgeois