Les grenouilles de la discorde

C’est une histoire a la clochemerle, dont on pourrait sourire, qui porte néanmoins à réflexion. Voici que les grenouilles d’une mare de Dordogne se voient intimées de se taire par voie de justice. Dans le Landernau périgourdin, le conflit de voisinage remue les esprits et les cœurs.

Plutôt « enveloppés » de leur personne, Annie et Michel Pechenas ont la bonhommie de ces grands parents, comme tout le monde peut en rêver.

Souriants, affables, sans doute de bons vivants, ce couple apprécie la maison familiale, près de Grignols en Dordogne, où Annie elle-même a grandi, avant d’aller avec Michel ouvrir 4 restaurants à travers la France.

Cadastrée et pas d’hier

Il se trouve que l’habitation, à la limite de la forêt, dans un hameau du joli nom de « Puychérisel » s’enrichit d’une mare de 300 m2, cadastrée depuis belle lurette, où prospèrent toute une faune locale, poissons et grenouilles, bien sûr.

Or les grenouilles coassent, comme chacun sait, particulièrement pendant la période des amours, en mai et juin, sinon, je vous le demande, comment pourraient-elles se parer ?

63 décibels exactement

Un peu trop fort, selon les voisins du couple Pecheras. Ne supportant plus ce tintamarre des liaisons batraciennes en devenir, ils ont déposé plainte auprès du tribunal de grande instance à Bordeaux ( on entend dire qu’il s’agit de personnes d’un genre un peu ronchon).

Commis, un huissier a fait de savants relevés. Oui, les appels genre site de rencontre pour gent animalière atteignent 63 décibels dans l’une de leurs chambres par temps chaud.

Constitutif d’un vacarme

Donc nous voici en cour de justice et presque dans les pas d’un Jean de la Fontaine. Un premier jugement déboute les plaignants, la cour estimant qu’elle n’avait pas reçu d’explication suffisante quant au fait que « 63 décibels » était constitutif d’un vacarme.

Mais les voisins s’acharnent, passent en Cour d’Appel, laquelle leur donne raison en juin dernier. Et condamne les Pecheras à combler la mare dans un délai de 4 mois, avec une astreinte de 150 € par jour de retard.

Une machine à laver

Passons sur le fait qu’ils attaquaient également, entre autres, sur la haie de bambous « entravant », selon eux, le passage de la lumière vers leurs panneaux solaires !

Quant au bruit incriminé, « À peine celui d’une machine à laver », rétorque Michel Pechenas, soulignant qu’il a même déplacé la mare pour l’éloigner de 12 de mètres de l’enceinte de la maison voisine. «  Mon mari a toujours tout fait pour arranger les choses », ajoute son épouse.

Animaux utiles

Il suffit de l’entendre parler avec passion de la mare conflictuelle. « On l’a aménagée, amené des nénuphars, des roseaux, de la verdure, elle contient quelques grenouilles, des poissons, on voit les matins des groupes de canards, qui viennent de je ne sais où, des hérons s’y poser, des sangliers, un cerf s’y abreuver, c’est leur et notre lieu de repos ».

Bref, le rôle que remplissent toutes les mares de France et de Navarre bien entretenues, avec pour avantage notamment de rafraîchir l’air ambiant quand il fait chaud. Et d’abriter des amphibiens, animaux utiles mais se raréfiant.

Comme ce fut le cas pour cette variété de crapaud retrouvé dans le département de l’Eure, après 50 ans d’absence, devenu lien et mascotte de notre blog.

Poésie des noms

Par manque de chance pour les voisins récalcitrants, les grenouilles de M. Pechenas relèvent de 4 espèces strictement protégées, on apprécie d’ailleurs la poésie de leur nom, alyte accoucheur, triton palmé, crapaud commun, rainette méridionale.

Ce qui revient à dire que si les Pechenas comblent le trou d’eau, ils pourraient se voir condamnés à un an de prison et 15 000 € d’amende (le comblement d’une mare doit faire l’objet d’une dérogation préfectorale).

Divorce avec la nature

Ce couple a été mal défendu, note la juriste de l’association Aspas, ces arguments n’ont pas du tout été mis en valeur par l’avocat de leur assistance juridique.

Entre temps, le « Froggate » mobilise ( la presse aime les symboles).

Alors qu’on veut rapprocher l’Homme de la Nature, note encore Aspas, et renouer une culture du vivre ensemble, inscrit comme premier objectif dans la stratégie nationale pour la biodiversité, on peut regretter que la justice entérine un tel divorce entre l’être humain et son environnement.

Paradis ou en enfer

Une pétition sur « change.org » en faveur de la mare litigieuse a déjà réuni, par ailleurs, plus de 90.000 signatures. Mais le dilemme demeure, astreinte ou amende ?

Actuellement absents, les voisins, eux, n’entendent pas polémiquer. « Leur paradis, c’est notre enfer, le coassement est intenable », font-ils savoir au journal Sud Ouest. ( On s’étonnera qu’ils auraient fait combler leur propre mare au moment du procès).

Conciliation en vue

Mais que dire alors du chant du coq qui sonne le branle-bas réveil aux heures indues ou des bruits de tondeuses, tronçonneuses, débroussailleuses, engins assourdissants qui cassent le repos des fins de semaine jardinières?

Contactée par le crapaud.fr, Annie Pechenas annonce une réunion de conciliation, souhaitée par la partie adverse. Que peut-elle vouloir ? « Je n’en sais rien, mais nous allons en cassation, si nécessaire ».

En réaction, un internaute s’amuse : « À la campagne, il y a tantôt trop de campagnards, tantôt trop de citadins, allez savoir ».

Lors d’une affaire analogue, la Cour s’était faite poète : « Il est sans doute depuis la création de leur espèce dans la nature (des grenouilles) de coasser là où elles se trouvent ».