L’enfer de Fukushima

C’est le cauchemar d’un accident nucléaire que l’on n’arrive pas à maîtriser. Le producteur et exploitant Tepco en est largement responsable. Ses méthodes de gestion du sinistre sont de plus en plus fortement dénoncées.

Résumons : pour refroidir les 3 réacteurs sinistrés, encore bouillants, il faut les arroser en permanence par 350 tonnes d’eau chaque jour. Sinon ils se remettront à chauffer. Au simple contact avec les réacteurs, l’eau se contamine, laquelle coule dans les infrastructures des bâtiments, les protections des réacteurs ayant fondu.

La mer trop proche

Avec le risque évidemment d’un écoulement vers l’océan, la centrale ayant été construite au bord de la mer. Donc il faut pomper inlassablement. Mais de cette eau pollué, que faire ? La décontaminer bien sûr, une usine vient d’être remise en service.

Séisme et tsunami ayant fortement dégradés les fondations, les infiltrations menacent de plus la nappe phréatique en dessous. Alors il ne reste plus qu’à stocker ces tonnes d’eau dans des containers géants, qu’on fabrique sur place un peu à la va-vite, vu l’urgence.

La nappe phréatique aussi

Les vues aériennes montrent d’impressionnants alignements de plus de 1000 cuves, dont on ignore le destin à terme, d’autant que, non suffisamment étanches, elles révèlent des fuites. Des ouvriers qui passaient à côté ont vu leur dosimètre s’emballer.

Fin août, 300 tonnes d’eau se sont échappées d’un de ces réservoirs, se répandant sur et dans le sol de la centrale, incident que l’autorité de régulation nucléaire nippone a fini par qualifier de niveau 3, comme « grave », sans compter que, vu la position  géographique, le millier de cuves n’est pas à l’abri d’un autre raz de marée.

Dans la longue série des soucis de Tepco, on se remémore aussi, l’excursion d’un rat, en mars, qui a fait disjoncter les équipements et provoquer une panne électrique.

Des porte-parole sans voix

Tepco est sur la sellette. Interrogé sur la compatibilité des matériaux utilisés pour l’assemblage des cuves avec de forts éléments radioactifs, un porte-parole s’est excusé platement devant un parterre de journalistes de ne pouvoir donner aucune indication aux journalistes.

Mais Tepco se voit confronté à un autre problème. Certes, si les 3000 personnes qu’il emploie à « Fuku », appelés « liquidateurs » (Tchernobyl a  répandu ce sinistre qualificatif) sont contraints à un devoir de réserve, le mur du silence s’est brisé. Trois d’entre eux ont témoigné anonymement. Et ce qu’ils disent fait froid dans le dos.

Travailleurs parias

Ceux qui opèrent sur le site n’ont rien de techniciens hautement qualifiés, plutôt des travailleurs précaires, qui se sont tournés pour n’importe quel boulot vers l’exploitant, car sans emploi depuis la catastrophe ayant  ravagé leur région.

Ils relèvent de ce groupe social japonais, discriminé socialement et économiquement, « Gens des hameaux spéciaux », « parias » de l’époque féodale, qu’on désigne par le terme de Burakumin (littéralement « pleins de souillure »).

Rafistolage et rabais

Près de 20 000 travailleurs ont œuvré sur le site, 1000 ont subi des radiations supérieures à cinquante fois la dose admissible en France. »J’ai même vu, confie un des témoins, des intérimaires débutants incapables ne serait-ce que de serrer correctement un boulon ».

Faiblesse des salaires (à peine l’équivalent de notre smic), risques sanitaires, précarité éloignent les ouvriers qualifiés. Tepco aime le rafistolage et marche au rabais. Les processeurs des robots utilisés pour certaines manipulations grillent les uns après les autres. On préfère les canalisations plastique plutôt qu’en fer.

Merci les sous-traitants

Les équipements du personnel eux-mêmes traduisent ces négligences. Combinaisons intégrales froissées, tâchées, voire malodorantes, portées parfois par 40° de température.

Et bien sûr, Tepco sous-traite auprès d’entreprises les tâches de réparation ou de démantèlement, lesquelles sous-traitent à leur tour parfois au quatrième, voire cinquième degré (cette sous-traitance également dénoncée dans les centrales françaises).

Mensonges et falsifications

Ce qui n’arrange pas l’image de la multinationale. Dès 2002, elle a été mise en cause pour avoir falsifié une trentaine de rapports concernant des fissures dans la structure de treize de ses réacteurs et dissimulé un premier accident incontrôlé, en 1978, à Fukushima.

Après la catastrophe de 2011, on lui reproche d’avoir été gouvernée plus par le souci de préserver les équipements de la centrale que de prendre en compte le risque pour les populations.

La bourse plutôt que la vie

Et d’avoir négligé, dès mai 2011, d’entreprendre la gestion des eaux contaminées (qu’elle doit dramatiquement affronter aujourd’hui), redoutant que le coût, 1 milliard de dollars, aurait terni son image à la bourse.

Il en résulte que Tepco est aujourd’hui l’objet de centaines de plaintes, à quoi s’ajoute des demandes d’indemnisations qui se comptent en dizaines de milliards d’euros.

Ce « Soleil levant » qui perd pied

On peut s’étonner que, dans ce Japon, qui fut le parangon, un temps, de la maîtrise entrepreneuriale et technologique, les autorités et l’exploitant se montrent dans l’incapacité de réagir avec l’efficacité et la détermination, qu’exigerait l’une des plus grandes catastrophes industrielles.

Le premier ministre Shinzo Abe somme Tepco de régler le problème des fuites d’ici à fin mars 2014. D’autres avancent qu’il faudra bien pomper jusqu’en 2020, avant d’atteindre les cœurs nucléaires. Pour l’éventuel démantèlement complet, comptez quarante ans au moins.