Le « stinkbug » à l’assaut des fermes américaines

Cela rappelle les fléaux qu’évoque la Bible. Telles des légions en marche, les punaises marbrées ont fini par conquérir les deux tiers du territoire américain. Causant d’inestimables dommages tant aux champs, vergers que vignobles. Et prospèrent sans prédateur, comme le raconte un remarquable article du New York Times.

Quand on en surprend une, on peut être certain d’en voir beaucoup d’autres. « Je les ai secouées de mes vêtements, chassées de mon ordinateur, pêchées vivantes dans le lave-linge, aspirées des rebords de fenêtres, je les ai même vues perchées sur une boîte de Raid, dont elle n’avaient que faire », écrit l’auteure Kathryn Schulz.

Et quand elles envahissent votre maison, en une nuit, avec leurs carapaces mordorées qui pourraient faire penser aux boucliers d’une armée qui s’est mise en guerre contre vous, on se croirait soudain plongé dans une film d’horreur.

Odeur

Dans une seule maison, 20 000 d’un coup relevé dans un cas précis, elles profitent pour s’introduire de tout ce qui offre ouverture, soffites ( dessous des toits), cadres d’huisseries, de portes, cheminées.

Surtout ne pas s’aviser à vouloir les écraser. Qualifiée en anglais de « stinkbug », elles dégagent par les trous de leur abdomen une odeur piquante, désagréable, mécanisme de défense pour éloigner deux ennemis potentiels, oiseaux et lézards.

Progression

On remonte à 1996, l’inexorable conquête américaine de cet insecte, très exactement punaise marbrée brune (halyomorpha halys), originaire d’Asie, qui débarque, si l’on ose dire, de la palette d’une cargaison chinoise. Depuis, sa progression d’un État à l’autre est fulgurante, à raison de près de 2 kilomètres parcourus par jour.

Au point qu’il est plus facile d’énumérer les quelques États, où elle n’a pas encore sévi. C’est une « auto-stoppeuse » pleine de ressources, profitant de tout ce qui roule, voitures ( à l’intérieur comme à l’extérieur du véhicule), remorques de tracteurs, transport par containers, caissons de toits.

Habitudes

Pourtant, sur place, elle se laisse du temps. L’État du Maryland a vécu avec elle son annus horribilis en 2010, 7 ans après qu’on ait localisé les premiers spécimens, de même qu’en 2011, l’infestation massive en Virginie a suivi le même laps de temps.

Avec d’abord une prédilection pour les petites villes, les banlieues, les agglomérations rurales, qui correspond le mieux à ses habitudes. Dès l’automne et jusqu’au printemps, elle prend résidence chez l’habitant, au chaud, dans les maisons.

Polyphage

Pour en sortir l’été venu et entreprendre avec système la destruction des jardins proches, vergers, forêts et fermes et toutes cultures attenantes. C’est une généraliste par excellence, que les entomologistes qualifient de « hautement polyphage ».

Car elle est armée d’une sorte de stylet, pièce buccale, piqueur-suceur, qui lui permet de percer le tissu végétal afin d’en extraite la sève.

Agrégat

Blessée, la plante, touchée aussi bien au niveau des fruits, de la tige, des feuilles ou des bourgeons, perd ses sources de vie, avec déformation ou destruction des graines et des structures, maturation retardée et vulnérabilité accrue.

Dès lors impropre à la vente, car pourrie de l’intérieur. De plus, tout en se bafrant, la punaise émet un agrégat chimique pour attirer d’autres congénères, qui traine sur le fruit et en modifie le goût.

Invasion

On considère qu’elle a de l’appétit pour 250 espèces végétales, dont de nombreuses cultures fruitières (pomme poire, cerise, citron, abricot, framboise, mûre, nectarines), légumières (haricot, tomate, poivron, maïs, soja), autant que plantes ornementales (érable, orme, lilas, hibiscus).

Et aussi, sans le moindre inconfort, radis noir, poivre de Cayenne, piment toutes variétés. Dans les champs de maïs et de soja, il arrivait que les fermiers affrontent une telle invasion, au point d’être contraints de mettre en route les balais des pare-brises pour arriver à piloter leurs engins.

Impact

Et voici nouvellement qu’elle s’en prend aux cultures du coton comme à l’industrie lourde des amandes en Californie. Bref, l’essentiel de l’économie américaine y passe en matière agricole et horticole.

Bizarrement, selon l’auteure, il est difficile de quantifier de façon exacte l’impact économique de ces dégâts, les exploitants n’étant pas tenus d’en informer les autorités.

Défenses

Sollicités pour évaluer leurs pertes, certains d’entre eux, spécialisés dans la culture des pommes, les ont estimés à 37 millions de $ pour un résultat annuel de 200 millions.

Pour comble, la punaise marbrée se moque généralement des arrosages de phytosanitaires, pesticides et autres. Bien armée pour maximiser ses défenses propres, elle dispose de pattes longues, lui permettant de rester à certaine distance du fruit et d’échapper aux projections.

Constat préoccupant au bout du compte. S’il ne présente aucun danger pour notre santé humaine ou celle des animaux, ce ravageur agricole remet en question pour les fermiers, les consommateurs, les écosystèmes, 3 décennies de progrès environnementaux et économiques en terme de gestion des nuisibles.

 

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Article paru dans le New York Times du 6 mars 2018

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