Le silence des sillons

Dans le flot d’informations quotidiennes graves, d’ailleurs souvent promptement évacuées, il en est une récemment qui a bien frappé les esprits. Les oiseaux de nos champs se meurent. Victimes dites collatérales des tourments que nous infligeons sans barguigner à nos campagnes.

Il fut un temps où se promener dans les champs, entre labours et récoltes, s’accompagnait du plaisir d’entendre les chants de l’alouette d’une exceptionnelle musicalité, dont on dit qu’elle grisolle.

Ou celui de la linotte mélodieuse, sorte de passereau, qui porte bien son nom, car dotée de vocalises genre gazouillis d’une grande richesses de motifs.

Déserts

C’en est fini ou presque de ces volatiles, dont les plumages, les habitudes et les chants enchantaient la nature. «  Nos campagnes deviennent des déserts, les populations d’oiseaux s’effondrent, littéralement », lance un biologiste du Muséum, Benoit Fontaine.

Remercions la Grande Bretagne – on sait la passion des Anglais pour la faune et la flore, elle qui la première, dans les années 70, se décide à suivre la présence des oiseaux de façon standardisée. Le Muséum s’en inspire pour mettre en place en 1989 les campagnes « Stoc », dit « Suivi temporel des oiseaux communs ».

Bénévoles

Ainsi, 2 fois par an, des ornithologues bénévoles se mettent en train par centaines pour les recenser, les voir et entendre au petit matin, sur tout le territoire français ( les particuliers peuvent faire les mêmes observations dans leur propre jardin et les relayer au Muséum).

Les résultats de l’étude Stoc se complètent de ceux, réalisés par le Centre biologique de Chizé, dans les Deux-Sèvres, sur une « zone atelier » de terres agricoles, « Plaine et val de Sèvre ». En l‘occurrence, année par année, un protocole spatial et temporel, à la vue et au chant, mené sur 160 parcelles de 11 ha.

Déclin

Le chiffre impressionnant de 175 espèces d’oiseaux est ainsi inventorié, mis aussi les plantes, mammifères et insectes pour une vision de tous les départements de l’écosystème et leurs interactions.

Les dernières données de ces programmes confirment bien le déclin dans tous les milieux. Mais s’il se limite à 3 % dans les forêts, il s’avère en chute libre dans l’espace agricole, où les oiseaux ont perdu 33 % de leurs effectifs depuis 2001.

Accélération

Bientôt l’on dressera dans les villages des monuments aux morts dédiés à l’espèce volatile, où viendront s’inscrire, parmi beaucoup d’autres, le pipit farlouse, qui déplore la perte de 68 % de ses troupes en 17 ans, l’alouette des champs ou la perdrix grise de 50 à 90 % de disparition en l’espace de 25 ans.

«  Cela s’est accéléré dans les 2 dernières années, déclare au crapaud Grégoire Louïs, directeur adjoint de Vigie Nature, comme si l’on a passé un seuil et que, d’un coup, la descente s’avérait deux fois plus forte et rapide ». Sachant que l’on peut seulement incriminer un ensemble de facteurs.

Béton

Dans nos campagnes, les plaines sont avalées par les monocultures du maïs et du blé, les jachères ont subi un terrible coup d’arrêt (par décision européenne), les prairies disparaissent et avec elles haies, talus et mares, garde-manger habituel. Dans le même temps, 70 000 ha succombent chaque année à l’ogre du béton et de l’asphalte.

La production s’emballe. Des engins monstrueux arrosent les champs massivement d’insecticides neurotoxiques (néonicotinoïdes), et de redoutables herbicides (glyphosate), lesquels contaminent d’évidence l’ensemble de l’écosystème.

Inféodés

Et notamment la destruction des insectes, dont les oiseaux des champs se nourrissent abondamment. C’est le problème numéro un, que confirme cet autre étude, selon laquelle l’Europe a perdu 80 % de sa population d’insectes volants. Inféodés à cet environnement agricole, les oiseaux crèvent de faim.

Certains se souviennent encore de l’usage ravageur du DDT dans les années 60, jusqu’à ce qu’une scientifique américaine, Rachel Carson, s’inquiète de l’hécatombe mortelle des merles. « Nous pulvérisons les ormes, sans nous rendre compte que le poison fait son chemin lentement de la feuille de l’arbre au ver à terre et du ver au merle », soulignait-elle. Le DDT entre temps est largement interdit.

Modèles

Il y a donc urgence, de la même manière, pour remettre en question nos pratiques agricoles. Dans les Deux-Sèvres, le Centre de Chizé s’est associé aux agriculteurs pour expérimenter des modèles d’exploitation alternatifs dans sa zone atelier.

S’appuyant sur le programme Écophyto, de 20 à 40 exploitants, depuis 2012, acceptent de réduire parfois de 30% les intrants chimiques ((pour ceux qui en utilisent beaucoup), d’abord sur des cultures de blé mais aussi aujourd’hui de colza.

Le vivant

Et constatent que, les rendements n’étant pas modifiés de façon détectable, ils parviennent à améliorer leurs revenus (les intrants coûtent cher) et contribuent à relancer la biodiversité.

Pour Allain Bougrain-Dubourg, on prend petit à petit conscience du changement climatique, moins de ce terrible constat que l’arche du vivant est en train de couler sous nos yeux.