Le gaz qui redonne des couleurs à l’Amérique

Promised Land (Terre Promise), c’est le titre du film de Gus van Sant. Il met en scène  les débats qui agitent les habitants d’une petite commune rurale américaine, pressés de céder leurs terres pour l’exploitation du gaz de schiste.

Pour qui s’intéresse au sujet, ne le ratez pas.

Mais la réalité outre –Atlantique de l’exploitation du gaz de roche ne peut s’arrêter à une fiction particulièrement bien ficelée.

493 000 puits de forage actifs (début 2011) piquent la terre américaine, particulièrement au Texas, Dakota et Pennsylvanie. Depuis quelques années, un boom sans précédent, rappelant celui de l’or noir au 19 ème siècle.

Et en perspective, une production massive qui fournira 40 % des besoins énergétiques du pays.

Un impact majeur

Les Etats Unis sont pour l’instant le seul pays à produire des quantités aussi substantielles. Mais les Européens feraient bien de regarder au plus près cette révolution et prendre en considération ses effets possibles, majeurs, sur leur propre situation, comme le souligne une remarquable étude de Natixis.

Économique en premier lieu. Le gaz naturel américain, avec un prix 4 fois plus faible  que celui d’un gaz importé, va « booster » la compétitivité  de leurs industries, regagnant de ce fait des parts du marché mondial. Soit l’équivalent d’une baisse du poids des salaires de 17%.

Un meilleur équilibre commercial

Réduction du déficit énergétique et, en conséquence du déficit commercial. Les secteurs gros consommateurs d’électricité (pétrochimie, plastique, aluminium, automobile)  commencent à se réindustrialiser par la construction de nouvelles unités ou le rapatriement de celles délocalisées.

Le moment venu – autre effet attendu – les Américains continueront à réduire leurs importations de pétrole, déjà de 14 à 10 millions de barils/jour aujourd’hui. Et mettre une sourdine dans leurs centrales à l’utilisation du charbon, fort émetteur de CO2.

Le dollar reprend de la vigueur

Ils verront également, ipso facto, une revalorisation de leur monnaie, le dollar, actuellement déprécié par un déficit extérieur ne cessant de croître depuis des décennies. D’où un rééquilibrage du système monétaire international.

Viendront également les exportations de ce gaz de roche, dont le prix va baisser en Europe, avec une demande réduite des besoins de pétrole fossile. Ce qui pourrait avoir pour conséquence de modérer fortement l’incitation d’une transition énergétique vers les renouvelables.

Moins de « présence » au Moyen-Orient

Enfin, l’effet géopolitique. Important moins de pétrole et de gaz du Moyen Orient, les Etats Unis auront l’opportunité de se dégager de leur présence politique et militaire au Moyen Orient (contrepartie de leur approvisionnement), laissant ce rôle à l’Europe plus dépendante.

Qu’on ne s’y méprenne pas, conclut l’étude, une volonté délibérée se déploie derrière l’effort porté par l’Amérique sur la nouvelle manne du gaz de schiste, marquée  par des aides massives, d’importants budgets de recherche et l’abandon d’obstacles environnementaux.

Le président Obama n’a-t-il pas évoqué dans ce contexte l’Amérique retrouvant sa suprématie mondiale?

Une réponse au chômage

Sur le terrain, « anti » et « pro-fracking » (fracturation) continuent à s’affronter, comme l’illustre le film de van Sant.  De nombreux Etats américains ont décidé de foncer  dans cette nouvelle manne, et l’opinion  y est largement favorable.

Sensible entre autres aux dizaines de milliers d’emplois créés, pour répondre à un chômage qui stagne nationalement autour de 8 % , des jobs autant en amont avec la production de tubes d’acier, dans l’extraction sur les sites de production et, en aval, dans le transport.

Des fermiers pris à la gorge

Bien des fermiers signent le bail d’exploitation avancé par les compagnies ultra-puissantes, ne reculant devant aucune  manipulation si nécessaire, nombre d’entre eux pris à la gorge par une agriculture dégradée depuis des années dans les grands espaces du mid-west.

L’on en arrive parfois à des situations rocambolesques où certains se voient dans l’obligation d’attaquer en justice des municipalités qui, elles, ont voté contre l’exploitation et la fracturation hydraulique dans leur territoire d’autorité.

Et s’en prennent aux écolos locaux, qui rêvent d’un paysage préservé et d’une agriculture essentiellement biologique

L’impact de « Gasland »

« Gasland » a fait des ravages, conviennent les compagnies et les « pro ».

Ce documentaire de Josh Fox, diffusion et succès mondial, a alimenté de nombreuses polémiques, notamment la séquence brutale dans laquelle plusieurs familles proches de puits voient l’eau de leur robinet prendre feu à l’approche d’un briquet allumé, en raison d’un gaz libéré par la fracturation.

1220 tremblements de terre recensés

En juin 2011, par ailleurs, une commission ad hoc de l’Arkansas signait un moratoire interdisant provisoirement l’exploitation du gaz de schiste en raison de 1220 tremblements de terre recensés provenant de cette technique, avec un magnitude de 4,7 sur l’échelle de Richter.

Pollution de l’air et de l’eau, risques sismiques ont fait l’objet de nombreuses études et sont connus.  Et que fera-t-on des puits,  désactivés et obturés,  dont la durée de vie technique sera bien supérieure à celle de leur exploitation ?

Du fait des dégâts infligés aux roches en sous-sol, ces cimetières d’acier devront être soumis à un mode de gestion qui ne pourra pas être celui des forages de gisements classiques.

Quelle Terre

La France interdit en 2011 la fracturation hydraulique, sans que soient impactées des techniques d’extraction moins invasives. La messe n’est pas dite probablement. Mais la question de fond demeure.

Quelle « Terre promise » ? Celle à exploiter momentanément  pour fouiller ses entrailles qu’elle qu’en soit le prix ou celle en dépôt et héritage, à préserver pour assurer notre existence sur terre et celle de générations futures ?