Lavande en pâmoison

Qui n’a été séduit par ces champs de lavande, ondulant dans l’éclat de leur mauve-violet intense sous une légère brise d’été ? Les touristes s’y perdent parfois dans l’excès de la photo souvenir, comme l’ont montré de récentes images à la télévision.  Ces champs ne sont pas seulement la porte d’entrée dans les marches de la vraie Provence, ils marquent également au-delà de la carte postale la belle réussite d’une filière agricole française.

On n’est jamais mieux servi que confronté à l’adversité. Voici que dans les années 2000, la maladie s’abat sur les cultures, en l’espèce un « phytoplasme » du nom de cicadelle, (petite cigale), qui peut détruire une parcelle en l’espace d‘une paire d’années. Zones de plantation durement touchées, 50 % de la production française d’huiles essentielles détruite entre 2005 et 2010.

Leadership perdu 

Vient un autre défi, l’entrée de la Bulgarie dans l’Union européenne, en 2007. Profitant des aides de Bruxelles, ce nouveau venu arrache rapidement à la France son leadership lavandier sur le marché mondial.

La filière ne tarde pas à réagir. Cherchez la qualité… On active les leviers de la sélection, on confie à un groupement interprofessionnel une certification pour les plants sains, on colonise de nouveaux territoires.

Patrimoine immatériel

Techniques modernes, mécanisation liée autant à la récolte qu’à la distillation complètent cet effort qualitatif, pratiques du reste inscrites à l’inventaire du patrimoine culturel immatériel en France (2018).

Fait notable, d’autres agriculteurs viennent à rejoindre les exploitations existantes, abandonnant des cultures plus traditionnelles, auquel se rajoute une génération de jeunes, qu’attirent, en petites surfaces, la vente directe de produits divers, huiles essentielles, tisanes,  pommades, crèmes,  baumes.

Savonnerie et détergents

Car si l’on a à l’esprit ces bouquets odorants ou ces petits sachets accrochés à l’intérieur des armoires, que les Romains déjà affectionnaient pour conserver le linge et parfumer les bains, la lavande ( vient du reste du latin « lavandare » laver),  est requise dès le Moyen Âge pour la composition de parfums, voire de médicaments.

La mise en culture débute au 20 ème siècle. Hybride, plus productif, qui fleurit plus tard et sert  à l’industrie de la savonnerie et des détergents, le lavandin ( latifolia X officinalis) coiffe en raies égales 20 000 hectares et bénéficie d’une implantation plus importante,

20 000 emplois

Le second, la lavande dite « vraie »( lavandula augustifolia) aux exceptionnelles propriétés aromatiques, nourrit notamment sur 5000 hectares la parfumerie, sans oublier les officines médicinales.

Entre Alpes de Haute Provence, Vaucluse et Drôme, plus de 1300 exploitants actionnent quelques 150 unités de distillation et génèrent plus de 20 000 emplois directs ou indirects, avec l’activité touristique et mellifère.  

Intrants naturels

Les productions se sont déployées sur des terres arides et pauvres, le plus en altitude possible (entre 500 et 1700 mètres), là où d’autres cultures peinaient à trouver leur place. Aujourd’hui 12 % des superficies le sont en agriculture bio, qui bannit les intrants de synthèse pour des pesticides d’origine naturelle.

Avec l’aromathérapie, qui ouvre encore d’autres débouchés, la lavande française se porte bien certes, mais « Attention, rien n’est définitivement gagné », souligne au Crapaud Alain Aubanel, producteur depuis 3 générations sur une 30 hectares et président de l’interprofession. La méchante cicadelle est loin d’avoir dit le dernier mot.

Le sirocco en plus

L’insecte est d’autant plus présent, que son essor est liée au climat, plus il fait chaud, plus il prolifère. Mondialisation et réchauffement climatique signent aussi l’arrivée de plus en plus d’autres insectes débarquant de pays lointains.

De plus, il arrive que le sirocco du Maghreb y mette son grain de sel et souffle en période de canicule une chenille noctuelle, tellement à l’aise dans ce nouvel environnement, qu’elle se reproduit  à grande vitesse et grignote les tiges des plants.

Bienfaits de l’enherbement

S’il faut constamment avoir à l’œil ces envahisseurs ravageurs, la filière porte de plus en plus ses efforts sur l’amélioration de son bilan carbone avec notamment l’enherbement de gazon dans les interrangs. La méthode culturale éloigne la chaleur ( cicadelles comprises ), introduit plus de vie dans le sol et moins d’érosion des terres. De même que le végétal distillé est remis en compostage dans les champs.

Reste un envahisseur d’un autre calibre, le touriste, qui ne résiste pas aux séances selfie dans les épis. Une productrice aurait même signalé une séance de prise de vues pornographique.

Alain Aubanel traite le problème avec une certaine philosophie. «Le monde entier vient chez nous. Qu’un tourisme chinois qui a traversé la moitié du globe pour s’extasier ici devant le spectacle d’une floraison qui dure 3 semaines, je comprends qu’il se lâche un peu, ça fait pas de mal. Un touriste seul ne se voit pas, 300 à 400 tous les jours, y’a forcément un peu de casse ».