L’adieu au sable

Vous qui venez de passer vos vacances à la mer, sous un parasol et les pieds dans le sable, n’imaginez pas qu’un jour, comme en d’autres lieux, ce sable pourrait disparaître des bords de plage.

On l’ignorait. Le sable n’a jamais été aussi convoité, partout, déchaînant les appétits notamment mafieux. On a connu la guerre de l’eau, du pétrole, voici celle du sable.

Prenez cette île du Cap Vert, au milieu de l’Océan atlantique, ceinturée sur son littoral de vastes étendues de sable noir.

On « pêche » le sable désormais

Les gros chalutiers européens sont au large, pêche intensive. Les requins prédateurs n’échappent pas à leurs filets et les poissons, rassurés, ceux qui font le quotidien des pêcheurs capverdiens, s’éloignent du rivage, hors de leurs bateaux.

La population n’a plus le choix. Ayant perdu son habituel gagne-pain, elle se rattrape en « pêchant » du sable. Les hommes le puisent dans l’eau. Les femmes attendent à leurs cotés qu’on remplisse les seaux, qu’elles tiennent sur l’épaule, puis les portent en courant vers la terre ferme.

Ça paie, mal

Les déferlantes sont fortes, trébuchant, elles risquent de perdre le chargement et de se blesser. Au village, les camionneurs qui achètent, paient mal, on s’en doute, ce travail pénible, dangereux et illégal. Mais le revendent cher aux entreprises de construction qui, elles, profitent du boom immobilier local.

Les autorités ne semblent guère se soucier du trafic et de ses conséquences environnementales. Les enfants, eux, iront jouer au foot ailleurs que sur la grève.

Une matière première

Le sait-on, le sable est une matière première, incontournable dans la construction, mais aussi dans la fabrication du papier, plastique, peintures, détergents, cosmétiques, puces électroniques…

Ressource perçue jusqu’à présent comme inépuisable, gratuite et, si ose le terme, « intouchable » dans notre esprit, mais hélas à portée de la main. À l’inverse du pétrole.

500 millions de tonnes, en fraude

Micro-exemple que celui du Cap-Vert. En Inde, le secteur  de la construction connaît une formidable expansion, du fait notamment de la ruée des populations rurales vers les grandes villes, notamment du bord de mer.

Là bas, chaque année, l’ogre immobilier avale près de 500 millions de tonnes, extraits, illégalement, du littoral mais aussi des rivières. D’où destruction des berges et voici les agriculteurs face à des terres de culture inondées à la mousson et, sans eau, quand il s’agit d’irriguer.

La salinisation menace le littoral, les mangroves disparaissent.

La presse dénonce

En mai, la Cour suprême indienne demande à tous les Etats régionaux de prendre les mesures nécessaires pour arrêter un trafic, qui pourrait déboucher sur une catastrophe écologique.

La très active presse indienne est vent debout sur le sujet : « L’inaction laisse le champ libre à la mafia du sable , un sujet de honte pour le gouvernement ». Et cite cette cohorte de camions chargés, douze, pris dans un coup de filet par la police, près de New Delhi.

Gros profits = corruption

Mais la lutte est ardue. Les représentants des autorités, chargés de contrôler ces convois, sont régulièrement agressés. La corruption est sous-jacente. Industriels, officiers de police, fonctionnaires, tous en tirent profit. Et d’éventuelles décisions de justice contre les fraudeurs restent sans effet dans la ruée actuelle et ses gros profits.

Le Gange, fleuve sacré, n’est pas épargné. Voulant protester contre l’extraction qui y est faite, un religieux a mené une grève de la faim de 4 mois, à laquelle il a succombé.

Des îles englouties

Le sable des déserts, à profusion, s’avérant impropre à la construction, on commence par épuiser celui des carrières, et dans une longue dérive, celui des rivières et des plages, indifférent au rôle qu’il joue dans la protection des côtes, berges et des écosystèmes marins.

Des îles entières englouties en Malaisie et en Indonésie, cependant que Singapour, Dubaï, agrandissent leur territoire en l’important frauduleusement. Comme ces entrepreneurs souhaitant répondre aux milliardaires chinois, nouveaux riches, saisis d’une compèt’ mégalomaniaque pour la construction de gratte-ciel.

Se lève le Peuple des Dunes

Tout cela est bien loin de l’hexagone, dira-t-on. Mais dans le Morbihan, 140 associations se sont battues avec succès contre un  projet du cimentier Lafarge d’extraction au large du Ria d’Etel. Il s’agissait de prélever 600 000 tonnes par an, pendant 30 ans, à 30 mètres de profondeur.

Déjà aguerris par la lutte contre le projet d’une centrale nucléaire, voici 32 ans, le « Peuple des Dunes, ainsi qu’il s’est nommé, multiplie les initiatives spectaculaires, dont un fest-noz réunissant 12 000 personnes sur la plage, pour se faire entendre.

Un autre combat, en Trégor

Et donnent l’exemple édifiant de leur action à d’autres associations, le collectif « Peuples des dunes en Trégor » en baie de Lannion, confrontées  au projet de la Compagnie armoricaine de navigation (CAN) pour exploiter au large 400 000 m3 annuels de sable pendant 20 ans, aux fins d’utilisation comme amendement agricole.

Le site d’extraction est à moins de 6km des côtes, qui plus est entre 2 zones Natura 2000.

Ce beau slogan de Mai 68, « Sous le béton, la plage » revêt aujourd’hui une valeur prémonitoire.