La France face au coût d’un accident nucléaire

Les habitants de Tcheliabinsk dans l’Oural (Russie) se souviendront de ce météorite de plusieurs dizaines de tonnes, venu frapper leurs immeubles en une multitude d’impacts après désagrégation dans l’atmosphère. Et imaginent avec effroi ce qu’il en serait advenu, s’il avait percuté le grand complexe nucléaire de Maïak, non loin de là.

Au même moment, mais sans rapport de cause à effet, l’Institut national de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) interpellait, avec une étude  qui jette un  certain  froid, les responsables de la gestion nucléaire.

Si une catastrophe semblable à celle de Fukushima survenait en France, elle pourrait coûter de l’ordre de 430 milliards d’euros à la société civile. L’étude, soulignons-le, s’en tient à une sorte de bilan comptable, hors tout bilan intégrant d’éventuelles victimes mortelles, grands contaminés, grands blessés…).

« Après Three Mile Island (1979), les Etats Unis n’ont plus jamais construit une seul réacteur pendant 30 ans ; après Tchernobyl (1986), l’Italie a renoncé à l’énergie nucléaire et n’a jamais utilisé ses nouveaux réacteurs pourtant en état de produire ; après Fukushima (2010), le Japon s’est vu confronté à une sérieuse remise en question de son activité nucléaire et l’Allemagne  a décidé d’en sortir.

L’expérience montre en premier lieu que les accidents nucléaires peuvent avoir de graves incidences non seulement sur la production électrique locale, la destruction d’un site et tous les dégâts collatéraux, mais bien au-delà.

L’IRSN entend d’abord récapituler les grandes catégories de coûts, faisant une distinction entre un accident grave, avec des rejets contrôlés, et un accident majeur, projetant des rejets massifs.

Coûts sur site

Décontamination, démantèlement, remplacement de la production d’électricité, généralement supportés par l’opérateur (Tepco au Japon, Edf en Fance), ils représentent une perte de valeur pour la société qui opère dans son ensemble du fait du réacteur perdu et des coupures subies par les autres réacteurs du site.

En cas d’accident majeur, le besoin de remplacer plus rapidement que prévu l’énergie nucléaire par d’autres moyens de production et pour plus longtemps.

Coûts hors site

Ceux-ci ont déjà fait l’objet d’un examen approfondi après les accidents de Three Mile Island et de Tchernobyl. Ils comprennent les contremesures d’urgence, les coûts sanitaires, selon la quantité de nourriture contaminée ingérée par la population, voire un boycott par les consommateurs et les détaillants.

En cas d’accident majeur, affectant éventuellement une partie du territoire européen et selon l’ampleur de la contamination et le nombre de « réfugiés radiologiques », cela pourrait concerner environ 100 000 personnes, qu’il faudrait installer ailleurs.

Coûts dits psychologiques et sanitaires

Principalement les journées de travail perdues et les coûts des traitements à long terme. L’étude n’a pas tenu compte des souffrances des patients, si l’on exclut d’emblée des victimes lourdes, voire mortelles.

A quoi s’ajouterait un nombre de cancers élevé, avec leur cortège d’effets physiologiques, les quantités de denrées agricoles dont il faudrait se débarrasser, la gestion des territoires contaminés, sans compter les zones d’exclusion, un défi permanent pour de longues années.

Ce qu’on peut appeler les coûts « humains » pourraient se monter à 40 % des coûts totaux.  L’accident risquant d’affecter les pays voisins, infligeant des souffrances considérables aux populations concernées.

Coûts dits d’image

Si l’on compare avec Fukushima, les zones contaminées, après accident majeur dans une centrale française, risqueraient d’affecter des zones agricoles intensives, notamment des productions symboliques comme le vin.

Villes, paysages, monuments contaminés à leur tour, nuiraient à l’activité touristique. Une couverture médiatique intense exacerberait les problèmes d’image tout de suite après l’accident, puis à chaque anniversaire, renforçant les difficultés pour les activités concernées et les moyens d’existence de ceux qui en dépendent.

L’expérience acquise dans des épisodes comme la crise de la vache folle, la grippe aviaire ou la crise du concombre espagnol en 2011 démontrent à quel point ces crises mettent en péril immédiatement des exportations agricoles et alimentaires.

120 milliards d’euros

En résumé, le coût d’un accident nucléaire grave avoisinerait un total de 120 milliards d’€ (arrondi), incluant l’ensemble de paramètres ci-dessus, évalués dans l’étude à partir de cas concrets, quand ils existent. Soit une addition tout à fait considérable pour la France.

En faisant abstraction, logiquement, de l’influence et de l’importance du vent ou de la pluie le jour donné, les conditions météorologiques pouvant accentuer plus ou moins les conséquences.

Si l’on fait référence à 2 accidents industriels majeurs, l’explosion de l’usine d’engrais AZF à Toulouse en 2001 ou la fuite de pétrole de l’Erika (2000), ceux-là ont été évalués chacun autour de 2 milliards d’€.

Un désastre d’importance nationale

Ces pertes représenteraient de 3 à 6 ans de croissance économique (selon le taux de croissance), soit sur 6%  d’un PIB français annuel de 2000 milliards d’€, s’étendant d’ailleurs dans le temps, la plus grande partie survenant dans les trois premières années après l’accident.

Mais en cas d’accident majeur, provoquant une catastrophe européenne, en tenant compte d’un scenario représentatif dans un réacteur français à eau pressurisée, de 900 MW, sur la base d’une durée de vie de 40 ans, le coût s’élèverait à  430 milliards d’€.

Ces estimations doivent être comprises comme des ordres de grandeur. Selon les circonstances, pour un même accident initial, les coûts pourraient être deux fois moindres ou deux fois plus importants. Elles n’incluent pas en outre les conséquences sur la dette nationale, sur la Bourse, sur les investissements étrangers, entre autres.

Message aux gestionnaires de crise

Pour l’IRSN, explicitant sa démarche ( qui ne manquera pas de susciter des critiques sur le fond) se préparer à un accident nucléaire nécessite de comprendre ses conséquences potentielles, dans un exercice aussi complet que possible…

Il est surprenant que si peu d’efforts aient été consacrés jusqu’à présent à obtenir une vue d’ensemble. Même si l’estimation des chiffres peut parfois manquer de précision, une mauvaise estimation vaut mieux que pas d’estimation du tout.

Ce genre d’information devrait être utile aux gestionnaires de crise. La vision qu’ils peuvent en tirer  devrait les aider à éviter les erreurs majeures dans les stades initiaux d’une catastrophe nucléaire, celles qui peuvent revenir très cher à long terme ».