La dramatique rentrée des céréales

La torpeur de l’été, toute relative, nous a éloignés un temps des problèmes du monde. A savoir l’impact de l’extrême sécheresse qui accable la ceinture céréalière des Etats Unis. En dehors des effets immédiats sur les prix des denrées quotidiennes pour les consommateurs, y compris chez nous, ils appellent notre attention sur des choix drastiques de société.

C’est une sécheresse estivale sévère. Déjà des Etats ont du prendre des mesures concernant l’usage de l’eau. Au détriment des agriculteurs. Parce qu’il arrive que les ressources hydrauliques leur échappent, mises aux enchères, comme cela se fait, au profit des industries de forage, plus fortunées, et des raffineries d’éthanol. Le carburant non conventionnel engloutit pas moins de 40 % des champs de maïs américains, sans parler des besoins en eau. Sa production, comme celle du gaz de schiste, nécessite en effet des milliers de mètres cubes d’eau, au point, selon un chercheur texan que « nous utilisons plus d’eau pour les usines de l’énergie que pour nos fermes ».

3 lignes de front

Ce n’est pas une guerre ouverte mais un conflit bien marqué. Les fermiers montent au créneau pour défendre leurs intérêts, suivant leur position sur l’échiquier. Car il y a 3 lignes de front en quelque sorte, ceux qui produisent des céréales pour la table quotidienne des familles (pain, biscuits, etc), les autres pour nourrir le bétail et les troisièmes pour faire rouler des véhicules à moteur. Finalité alimentaire ou automobile, that is the question. Tout tourne autour d’un mandat de 5 ans de l’administration Obama exigeant 10 % d’éthanol dans l’essence (le président, dit-on, est très favorable à ce combustible de substitution). Or, avec de nouvelles températures record en juillet, les récoltes de maïs seront les plus faibles depuis de nombreuses années, selon le ministre de l’Agriculture US.

La tête dans le sac

Très puissantes politiquement, les industriels de la viande (les céréaliers purs ont déjà la tête dans le sac) soulignent que le quota gouvernemental a déboussolé les marchés et demandent son abandon. Les «éthanoliens» répliquent qu’ils ont baissé leur production, figé un certain nombre de plantations et qu’une telle décision ne ferait qu’amplifier des pertes du secteur déjà conséquentes.

Un pied dans le maïs, l’autre dans l’éthanol

Compliquant le problème, nombre de céréaliers ont aussi investi dans les raffineries de bioéthanol. Si bien que, plutôt qu’une intervention de Washington, favorisant les uns ou les autres, ils seraient d’accord pour laisser la situation évoluer selon le marché ! Les marchés précisément accusent dès à présent les effets de sécheresse, la pire depuis 50 ans – mais également manifeste en Russie, au Brésil, et selon certains climatologues, elle pourrait se perpétuer dans des régions données. Les États Unis exportent en effet la moitié du maïs mondial, le choix de l’éthanol intensif a évidemment fait flamber les prix.

Un milliard d’affamés

On se souvient que les mauvaises récoltes de 2007 ont soulevé des émeutes de la faim dans 36 pays d’Afrique et d’Amérique latine, celles de 2010 ont joué dans les « révolutions » arabes. Avec l’actuelle hausse des prix, le nombre d’affamés peut franchir à nouveau le seuil du milliard d’individus. Si un ménage français consacre 15 % de son revenu à ses achats alimentaires, c’est 50% dans les pays du sud, alors que la famine sévit déjà dans le Sahel. Depuis le début de notre siècle, les années déficitaires en production céréalière sont plus fréquentes que les excédentaires, comme le note Bruno Parmentier dans un récent article du Monde. Insistant sur le fait qu’il faudrait s’interroger sur la durabilité du système alimentaire mondial.

Le yoyo des prix

En fait, la crise est continue, céréales, sucre, maïs. Les produits laitiers et de boucherie suivent. Dès le plus petit déficit de production, les prix s’envolent. A la bourse de Chicago, le prix du maïs, la céréale la plus échangée, ont augmenté en un mois de 30 à 50 % ! Sur le marché européen, la hausse du blé s’est élevée à plus de 30 %, en raison des rendements touchés ici par un excès de pluie. Pour Aurélie Trouvé d’Attac, la volatilité, voilà le problème. Elle déstabilise les consommateurs autant que les filières agricoles. N’étant pas sûrs du lendemain, les exploitants investissent moins, lorsqu’ils ne se suicident pas. Moins d’investissement, moins de crédits des banques, spirale habituelle.

Un boulevard pour la spéculation

En cause, la dérégulation, encore et toujours. Des systèmes garantissaient des prix stables aux agriculteurs, auparavant. Avec l’entrée de l’agriculture dans les accords de l’OMC, ces politiques ont disparu. Laissant un boulevard ouvert à la spéculation, des intervenants parasites qui ne sont ni vendeurs ou acheteurs de produits agricoles. La communauté internationale souhaiterait que l’on revienne à une production plus axée sur les besoins alimentaires. Reprendre les habitudes du stockage – déstockage en fonction de l’offre et de la demande réelle, constituer des stocks tampons, ce qui permettra de prévenir les crises notamment climatiques, calmer la spéculation. Pour Bruno Parmentier, une question-clé dorénavant pour la paix du monde.