Étoiles pour migrants

Nos sociétés produisent 93 milliards de tonnes de déchets par jour. Heureusement, de plus en plus d’initiatives se libèrent pour contenir, sinon rendre gorge au formidable (et scandaleux) gâchis du gaspillage alimentaire.

L’une des plus surprenantes est bien ce « Refettorio », cantine solidaire, ouverte récemment dans l’église de la Madeleine à Paris.

Vous vous approchez du panneau sur l’auvent de l’édifice, où se dessinent 2 grandes mains blanches sur fond gris-noir, ouvertes en coupe comme une colombe en vol, geste d’invitation évidemment.

Puis, vous entrez dans une magnifique crypte voutée (une des trois existantes), décorée de volutes de nuages, qui flottent accrochées aux voutes.

Starck

Vous prenez place sur des bancs au design sobre très contemporain et découvrez à table, éclairée par des lampes Starck, de la vaisselle également signée.

À l’ouverture en mars dernier, nul doute que les premiers convives de ce restaurant plutôt select apparemment, initiée par le chef italien Massimo Bottura, ont du tomber des nues.

Les convives ? Des migrants, des sans-abri, pour beaucoup hommes, femmes en détresse, réunis par différentes associations humanitaires, notamment Emmaüs et Aurore.

Renom

Le cheveu grisonnant et déjà clairsemé, mais barbe et moustache faisant écho en plus sombre et dense, l’oeil malicieux, Massimo Bottura, triple étoilé, aurait pu voguer sur la renommée de son restaurant de Modène (Toscane), désigné meilleur restaurant du monde en 2015 (11 tables, des mois de réservation).

Et le décalquer dans d’autres places fortes financières, où l’on privilégie les menus à 200 €, comme le font la plupart des grands chefs.

De l’âme

Ses convictions profondes l’ont mené à se battre sur d’autres lignes de front, populations d’exclus et gaspillage alimentaire, en fondant l’association « Food for soul » ( Nourriture pour âme ).

Ses cantines solidaires essaiment déjà dans plusieurs villes ( Milan, Bologne, Paris destinés aux migrants, Rio, Londres aux « sdf », Modène aux habitants démunis). « La Madeleine, c’était un rêve », confie-t-il, tant le lieu en impose par sa grandeur.

Délires

L’idée du Refettorio » lui est venue en imaginant les délires de nourriture basculant dans les poubelles pendant l’exposition universelle de Milan (2015). Confirmé par le même constat aux Jeux Olympiques de Rio (2016).

Les principes en sont les mêmes partout. Une centaine de couverts assis par dîner, du lundi au vendredi, une quarantaine de volontaires pour cuisiner et servir, des repas gratuit mitonnés par une succession de grandes toques, qui acceptent tour à tour de se mettre au piano (Alain Ducasse parmi les tout premiers).

Défi

Sachant qu’en cuisine, on devra attendre les 130 kgs de nourriture, qui sortent chaque matin du camion de livraison, ces produits, ou surplus, récupérés avant d’être jetés à la poubelle et fournis par Metro, Carrefour, Franprix, la Banque alimentaire, Accord hôtels et autres.

Chef en résidence, Maxime Bonnabry souligne le défi pour tous : » Chaque jour nous devons nous adapter pour travailler avec les produits qui nous sont donnés ».

D’art

«  J’ai grandi dans une ferme où nous ne jetions rien, déclare Massimo Bottura à Libération. Tuer le cochon, c’était pour nous comme un sacrifice qui permettait à notre famille de vivre, cela avait une dimension spirituelle…

… De la même manière, on vit ici une expérience pour les migrants, non pas celle de se nourrir tout court, mais se nourrir d’art, dans l’assiette comme dans le lieu … »

Reconstruire

Faisant référence au terme de« refettorio », il souligne la signification appropriée de son origine latine »reficere », soit « reconstruire ». Pour lui, les migrants ont cette nécessité de reconstruire leur corps autant que leur identité.

Et si un repas ne résout pas le problème de l’exclusion sociale, il est normal de leur donner le meilleur de tout, y compris un endroit agréable, où les accueillir ( les mains en couronnes à l’entrée comme les nuages au plafond proviennent du grand artiste de rue JR). Les œuvres modernes fourmillent tout autant dans son restaurant de Modène.

Engagement

Si l’on y voit une œuvre humanitaire, « Food for Soul » relève à ses yeux avant tout d’un forte vocation culturelle. « L’ingrédient le plus important de la cuisine, souligne-t-il dans une conférence à Montréal, c’est la culture, car avec elle vient la connaissance, avec la connaissance vient la conscience, avec la conscience, l’engagement ».

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Ajoutons que, dans les 3 cryptes de l’église, en cédant une salle au Refettorio le soir, le Foyer de la Madeleine, sert entre 250 à 300 repas à prix bas, soit 9 €, entrée, plat, fromage ou dessert ( 1 € pour les personnes prescrites par l’association Ozanam-St Vincent de Paul). Du lundi au vendredi, ce restaurant associatif est ouvert à tous, gens du quartier, retraités, personnes en difficulté.