COP24 – Y croire encore ?

Lecrapaud était présent toute une semaine à la conférence  de Katowice, qui vient de prendre fin, en la personne de Nicolas Jacquette. Ainsi, notre équipe voulait-elle avoir le temps de prendre le pouls de l’événement, comprendre son fonctionnement et en faire le bilan. Voici son récit.

Morosité ambiante avec des engagements à la baisse

C’est bien la morosité générale qui règne à cette nouvelle COP, loin de l’esprit attendu pour un tel évènement, dans un contexte général alarmant, génocide de la biodiversité, empoisonnement des océans, retour des énergies fossiles, dont le changement climatique n’est qu’une composante. Autour de moi, je vois nombre de participants aux mines sidérées.

Multitude

La COP24, c’est une énorme machine, impressionnante. Près de 10 000 participants, venus du monde entier, se côtoient durant 2 semaines, pressés de participer à des centaines de conférences, négociations, échanges informels, réunions d’experts, combats d’avocats, actions de lobbyistes, fédérations d’actions, etc.

Pour accueillir cette multitude, voici le tout nouveau centre des congrès de Katowice, à peine achevé depuis 2 mois sur l’emplacement d’une ancienne mine de charbon. Il a fallu y ajouter  des tentes géantes ouvrant sur un espace tentaculaire de 8 zones interconnectées.

Marcher

Dans une Cop, on apprend à marcher. Près de 15 mn pour aller à pied de la première à la dernière zone. Heureusement les écrans télé informent en permanence sur le programme des négociations en cours et à venir.

Pour ne pas perdre le fil du déroulement des journées, il vaut mieux comprendre que les négociations se déroulent sur différents niveaux. Sur la base des accords des précédentes COP, des spécialistes en débattent, puis les amendent durant des réunions entre les Parties, représentants des gouvernements, avocats pour la plupart.

Silence

Tout cela chapeauté par des secrétaires de l’ONU, qui modifient en direct les articles en fonction des demandes des Parties, sous l’œil d’observateurs qui, au demeurant, ne peuvent pas intervenir dans les discussions.

Ce qui me frappe, ce sont ces longs silences où personne ne veut prendre la parole, qui obèrent presque un cinquième du temps des réunions.

Chaque mot est débattu âprement. Parfois une réunion de 2h ne porte que sur une phrase dans le préambule d’un texte. Un travail laborieux, et qui donne une sensation de lenteur extrême n’amenant sur rien de concret, ou pas grand-chose.

Lourdeur

Ce qui ne déroute pas, semble-t-il, les habitués de ces débats qui savent en traduire l’issue. Pour certains, le consensus sur un mot, ou sur le fait de laisser à plus tard l’étude d’un point et ne pas bloquer dessus, représente déjà à leurs yeux une grande avancée.

Certaines réunions de situation servent, quant à elles, à valider en 10mn le travail des spécialistes qui œuvrent hors champ. L’essentiel des échanges se déroulant par mail.

Les versions mises à jour sont alors envoyées chaque soir aux représentants des Parties, juste le temps de vérifier qu’il n’y a pas d’opposition à celle en travail et rendez-vous est donné au lendemain.

Généralités

Enfin, je fais connaissance avec les « side events », tribunes et conférences pour donner la parole aux officiels et ONGs. Peu fournissent du concret, se bornant à des généralités sur l’urgence d’opérer la transition. Quand les lobbies du pétrole, du charbon et du gaz, n’y font pas carrément la promotion des énergies fossiles. Rejoints par les gouvernements, qui me semblent faire allégeance totale au modèle capitaliste, en essayant de le verdir pour la forme.

Quelques organisations plus orientées action donnent en revanche  leurs stratégies pour stopper le réchauffement climatique. Mais là encore l’équilibre des forces est clairement à leur désavantage.

Au minimum

Globalement, en discutant avec d’autres observateurs, je note un sentiment partagé de recul depuis la COP21 de Paris. Chaque représentant de pays négocie pour impliquer au minimum son pays. Ce qui se confirme dans le manque d’actions concrètes.

Les gouvernements en effet peinent à suivre leurs engagements. La France en tête, très mauvaise élève, en dépit des déclarations fracassantes d’Emmanuel Macron l’an dernier, avec son “Make our Planet Great Again”.

Arrangements

Concernant l’hexagone, les émissions de CO2 sont reparties à la hausse entre 2017 et 2018. De plus, le CAN (Climate Action Network) et Réseau Action Climat ont révélé les arrangements entre le Président Macron et la Pologne.

Le gouvernement français ayant offert en effet de soutenir la Pologne dans le financement de l’exploitation charbonnière en échange de son soutien aux intérêts nucléaires hexagonaux. La Pologne avait d’ailleurs annoncé, juste avant la COP, la construction d’une nouvelle centrale à charbon de 1 GW.

Charbon, charbon

Cette Pologne, qui avec l’organisation de la Cop à Katowice, ville minière, apparaît comme un autre symbole d’une Europe loin de la transition énergétique. L’énergie y est encore en grande majorité produite à partir du charbon, présent en quantité dans le sol polonais. Le secteur emploie près de 85 000 personnes.

La ville de Katowice s’est toute dédiée à cette industrie, y emploie la majeure partie de ses habitants, obtenant le triste record de la cité la plus polluée de Pologne. Respirer l’air de la ville équivaut à fumer 7 cigarettes par jour, tant l’air est saturé de particules.

Catastrophique

Et, faute de prendre la mesure de cette situation catastrophique, la Pologne, dans l’espace dévolu aux stands des pays, n’hésite pas à faire la promotion du fossile, un non-sens total, et montre qu’entre discours et actes, il y a fort peu à attendre des gouvernements et des industriels dans les changements drastiques à faire.

Que pouvait-on attendre d’ailleurs d’une COP largement subventionnée par les entreprises polonaises dédiées aux énergies noires : PGNIG (6.4 milliards d’euros de CA annuel dans le gaz et le pétrole), LOTOS (7 milliards d’euros de CA annuel dans le pétrole), PGG (la plus grande société minière de charbon européenne, avec des mines couvrant plus de 650 km2 sur la Pologne). On est loin, très loin du recul.

Distorsion

Autre exemple, le 4 décembre 2018 pour clôturer la journée, je rejoins une soirée dans la grande salle du complexe, réunissant plus de 2000 participants à la COP. Le buffet est exclusivement composé de viande, saucisses, travers, paupiettes, pas un légume, pas un féculent, de la viande en quantité pharaonique.

Le jour même, les conférenciers viennent de discuter de la nécessité de réduire la consommation de viande mondiale, étant l’un des premiers émetteurs de CO2, une réduction de seulement 40 % pouvant infléchir l’emballement du climat. On parle, on échange, on écoute mais où  apparaissent les objectifs ?

Opacité

Ergoter pendant des heures sur trois mots, cette forme de liberté de parole permet aux délégations de bloquer des processus entiers et, à l’issue des deux semaines, d’avoir empêché le texte d’avancer.

Au final, au regard de décisions qui impliquent le monde entier, des générations futures d’humains, l’avenir de la planète et l’humanité elle-même, il semble incongru, pour ne pas dire choquant, que rien ne filtre de ceux qui vont élaborer les décisions, lesquelles seront ensuite amendées et signées.

Pression

Les ONGs sur place dénoncent sans ménagement les mensonges de communication des différents gouvernements en marge de la COP, alertent la presse sur la réalité des négociations en distillant les bonnes informations en fonction des catégories de médias, plus ou moins spécialisés.

Et parviennent parfois à les faire infléchir par la pression médiatique que certaines de ses informations font peser sur les négociateurs, toujours prêts à privilégier les intérêts industriels au détriment du climat et des populations.

Spéculation

Prenons le fond d’aide à la transition énergétique pour les pays en voie de développement. Il avait été validé sous forme d’une dotation de 100 milliards d’euros par an, sur 5 ans, n’a même pas atteint les 50 milliards en 3 ans (à titre de comparaison, l’évasion fiscale en France représente 100 milliards par an).

Or, une bonne moitié de cet argent a été versé sous forme de prêt avec intérêt par plusieurs états, permettant de spéculer sur ce fond d’aide et d’en faire une source de profit au détriment des nations, à qui il s’adressait. Quand celles-là d’ailleurs l’utilisent correctement.

Scandale

Un des principaux bénéficiaire de ces sommes l’année dernière, l’Inde a commencé par dépenser 358 millions d’euros dans l’édification d’une statue géante, la plus grande du monde…

Au bout du compte, je crois trop comprendre que la COP ressemble à une opération de com très coûteuse, permettant aux états de prétendre qu’ils se saisissent de la question du climat.

Mais organisée par eux, ce sont eux qui choisissent les interlocuteurs, le mode opératoire, le timing, et aucune décision ne donne lieu à la moindre sanction, si les objectifs ne sont pas tenus.

Il en ressort donc bien peu d’espoir du côté des gouvernements. Par contre, la société civile, très présente et active, prouve à nouveau qu’avec ses citoyens acteurs,  elle parvient à mieux faire bouger les lignes et que c’est à chacun de nous d’agir, sans quoi rien ne sera fait, si ce n’est le pire.

Nicolas Jacquette était invité comme observateur officiel par Hindou Oumarou Ibrahim de l’IPACC (Indigenous People of Africa Coordinating Committee). L’invitation fait suite à un projet mené par l’agence Si en collaboration avec l’UNESCO, l’IPACC et l’AFPAT, avec l’ambition de réaliser un outil de communication permettant à des météorologues et des peuples nomades d’Afrique sub-saharienne de communiquer ensemble sur le réchauffement climatique.