Bile d’ours et poils de vison

Drôle de cortège à Séoul (Corée du sud), à voir ces éleveurs qui poussent leurs ours en cages devant des bâtiments gouvernementaux. Exhibant les slogans qu’on imagine volontiers : « Nos ours se meurent », « Sauvez nos jobs, sauvez leur bile ».

Car la bile d’ours, une spécialité locale, a fait son temps, comme l’huile de foie de morue chez nous. Plongeant tout un secteur d’activité dans un grand désespoir.

Appendice à 27 000 $

Aucune bile vendue depuis 5 ans et 50 fermes, exploitant plus de 1000 animaux, au bord de la faillite. Alors que le gouvernement lui-même incitait au développement de cette (petite) industrie, entraînant une surenchère dans la production, l’ours se marchandant alors pour son appendice bilieux à plus de  27 000 $.

Pour mieux attirer l’attention des pouvoirs publics, les éleveurs ont pris soin d’entasser leurs bêtes par 20 dans chaque cage, offrant le désolant spectacle d’animaux très à l’étroit derrière les grilles et ne cessant de se quereller.

Vitalité, résistance

Personne n’a, semble-t-il, suggéré qu’on aurait pu tout aussi bien les lâcher dans la rue, ce qui aurait encore plus marqué les esprits, éventuellement affolé les autorités…

Alors que la population a longtemps prêté à ce dérivé organique, dans la pharmacopée traditionnelle asiatique, la faculté de guérir abcès, hémorragies, épilepsies, kystes et calculs rénaux, aussi de booster vitalité et résistance.

La bile chinoise talonne

Le vent a tourné. La majorité des Sud-coréens, interrogée, dit aujourd’hui ne s’être jamais procurée de la bile d’ours récemment et n’en a aucunement l’intention.

De plus la malheureuse bile sud-coréenne se trouve en concurrence avec celle du voisin chinois et vietnamien, à portée et moins chère. Le gramme de bile séchée se vendrait néanmoins 170 €.

10 000 « donneurs »

En Chine, en effet, les fermes on fleuri, pour un cheptel de près de 10 000 bêtes, de l’espèce ours noirs d’Asie, dans des conditions d’insalubrité et d’encombrement tout à fait discutables, selon l’organisation Animals Asia. Et près de 2400 « donneurs »au Vietnam, dans l’illégalité, la pratique y étant interdite  depuis 2005.

Les pouvoirs publics sud-coréens sont disposés à prendre en compte la situation, moyennant un chèque de 1200 $ pour la stérilisation, un autre de 1390 pour l’abattage.

Extraction barbare

Trop maigre, réplique l’association des éleveurs ursicoles, qui menacent de mutiler leurs bêtes. Mais le sort semble scellé.

D’autant que les associations de défense dénoncent, entre autres, la barbarie de l’extraction, deux fois par jour, du liquide physiologique par le biais d’un cathéter fixé en permanence à la vésicule de l’animal. Les bêtes finissent par mourir d’un cancer du foie.

Un come-back

Si l’on pouvait donner un conseil aux malheureux éleveurs sud-coréens, ce serait de basculer dans un autre business, celui de la fourrure.

Non pas à dépecer leurs propres animaux, la peau de l’ours n’ayant jamais dépassé le stade d’un décor pour salle de séjour, voire de manteau pour chasseurs indigènes en pays froid (à condition de l’avoir tué à temps, bien sûr).

Élever visons et renards, voici ce qui paie.

Dépoussiérer

70% des designers ont misé sur la fourrure dans leurs récents défilés de mode, jouant sur les garnitures vestimentaires branchées, dépoussiérant du même coup l’image de ces manteaux sortis de la naphtaline pour dame respectable en recherche de prestance.

On est loin de la campagne de dénonciation des années 90, « Plutôt à poil qu’en fourrure », nous livrant pour confirmation les corps dénudés de Claudia Schiffer ou Cindy Crawford.

La crise balaie

Ce retour au top s’expliquerait selon les professionnels par la crise, laquelle mettrait bas le politiquement correct.

En 10 ans, la production mondiale de vison a doublé, pour attendre 66 millions de peaux. L’Europe reste en tête du secteur, notamment  Danemark et Pays Bas, bien que déjà talonnés par la Chine, productrice et consommatrice.

Vison et statut

En Chine comme en Russie, cette peau soyeuse, nouveau statut oblige, est devenue un signe de richesse extérieur, au même titre que la grosse berline allemande ou l’élégant sac de marque français.

Méfiants, les industriels ont cru bon de créer des labels, soutenus par la Conseil de l’Europe, entre autres sur la superficie des cages, l’origine des animaux et leur bien être.

Abattage en question

Mais les associations veillent au grain là aussi. Et diffusent un reportage sur un élevage de renards en Finlande, signalant des animaux obèses, par manque d’activité, vivant dans des piles d’excréments.

Au-delà de la maltraitance, les militants dénoncent les procédés d’abattage, généralement au gaz carbonique pour les visons, par électrocution anale chez les renards. Souffrances jugées éthiquement inacceptables.

Et, en Suède, leurs interventions dans les fermes peuvent prendre un  tour très violent.

La Norvège entre temps réfléchit au démantèlement de cette industrie, les Pays Bas ont déjà décidé de la bannir la totalement. Mais pas avant … 2024.