Bidonvilles, notre futur ?

Finirons-nous tous dans un bidonville ? Serait-ce notre ultime cauchemar ou une éventuelle solution d’avenir ? La question, plus actuelle que jamais, interpelle sociologues, géographes et urbanistes.

Les chiffres parlent. Un milliard d’êtres humains ne trouve à se loger que dans l’un des 200 000 bidonvilles, qui cicatrisent la planète, unique point de chute pour les laissés pour compte de notre société capitaliste.

L’exode urbain vers les mégapoles ( ou « mégalopoles « ) et, à leurs portes ces excroissances de cabanes branlantes, n’est pas prêt de se tarir.

Oubliés d’une société égoïste

Éthiopie, Tchad, Népal, Afghanistan, la quasi totalité de leur population s’y loge déjà de façon tout à fait précaire, comme le signale un article de l’excellent site, « Reporterre », à partir de l’ouvrage (« Challenge of slums »).

Qui sont-ils ces oubliés d’une société de consommation effrénée ?

Paysans chassés par l’accaparement des terres et les conflits locaux, migrants victime des dictatures, de la pauvreté, du réchauffement climatique, tout simplement salary men sans boulot.

22 000 enfants dans les rues

Ce n’est pas le seul fait des pays en voie de développement. Aux États-Unis, on compterait 600 000 sans abris, dont un nombre important d’anciens combattants de l’armée. Et à New York, plus de 22 000 enfants survivent sans domicile fixe, selon Amnesty International.

Dans la riche Silicon Valley, aux villas somptuaires, les campements ( type Calais) et les alignements de camping cars dans les rues sont en augmentation de 60 %, ne serait-ce qu’en raison du coût du moindre logement. Le rêve américain est décidément bien sélectif.

Guerres et ouragans

Certes, dans cette « bidonvillisation » du monde, les guerres jouent leur triste rôle, comme on le voit avec les événements de Syrie, d’Irak, d’Érythrée (entre autres) et l’afflux de réfugiés cherchant leur salut en Europe et ailleurs.

Les catastrophes naturelles aussi, comme à Haïti, cette île, délaissée par les dieux, pourrait-on dire, dévastée récemment par l’ouragan Matthew, une désastre après tant d’autres.

Un milliard d’individus

Que voyons-nous, interroge le chercheur Jan Breman, l’émergence d’une classe pauvre informelle d’un milliard d’individus, poussés par la nécessité d’accepter n’importe quel type de travail, tirer des charrettes, servir de domestique, fouiller les décharges…

On assiste au retour en force du travail des enfants et au trafic d’organes dans les bidonvilles indiens. De plus les communautés qui s’y sont créées, expulsables à tout moment, sont rançonnées par des mafias ou des politiciens corrompus.

Délogés, ils reviennent

Voilà la vraie crise du capitalisme, qui chasse hors de sa vue «  Les damnés de la terre », terme que l’écrivain Frantz Fanon retenait en 1961 pour qualifier les effets de la colonisation en Afrique.

Mais détruisez un bidonville, il s’en créera un autre sans tarder, peut-être pire que celui expulsé. Les habitants chassés ne s’évanouissent pas dans la nature.

Des gouvernements se sont bien essayés à les reloger dans de dits grands ensembles. Dans de nombreux cas, beaucoup de ces déplacés se rebellent, en dépit d’une existence précédemment précaire, souvent privée d’eau saine, de soins, de sécurité.

Une économie alternative

Car, ce que l’on gagne en confort matériel, on le perd dans la désaffection des interactions sociales, des jeux d’enfants sur les terrains vagues et dans l’accroissement d’une forme d’isolement et de solitude notamment des personnes âgées.

Le bidonville offre au moins aux déshérités, quoique réduite, une économie alternative, ouvrir un petit commerce, cultiver un lopin de terre, entretenir une vache ou un cochon (impossible dans un appartement), rendre de menus services rémunérés.

On s’attache aussi à y maintenir le sens de la communauté, donc de la solidarité, comme le soulignent nombre d’entre eux.

Une casse-tête

Expérience vécue à Istanbul, à l’image de ces habitants qui « reconstruisaient » en un mois leurs habitations de bric et de broc rasées dans la journée. Les autorités ont abandonné la partie.

La Banque mondiale s’est frottée à son tour au casse-tête. Elle a viabilisé des terrains, alloué des prêts, offert des titres de propriété. Échec cinglant. Les « pauvres » se sont mis à louer ou vendre leur parcelle à plus pauvre qu’eux.

Du bidonville au « bidonvillage »

Pourtant, il y a comme un génie créatif des bidonvilles. Déjà, les architectes coloniaux français vantaient la « souplesse avec laquelle ces espaces s’adaptent aux différentes fonctions et besoins changeants des usagers ».

En fait ne seraient-ils pas la solution, vu leur science du système D, leur capacité de résilience et leur pérennité ?

L’architecte Yona Friedman les voit plutôt comme un modèle de société anarchiste, îlots qui ont fait sécession du monde capitaliste, une forme de décroissance. Une autre organisation sociale en rupture avec la ville bourgeoise, sorte de « bidonvillage », autogéré et autosuffisant, où les activités échapperaient au diktat de l’économie de marché.

Un appauvrissement inéluctable

Mais ce serait oublier que la pauvreté ne nait pas en soi, qu’elle est la conséquence de la richesse urbaine et d’injustices fondamentales. Quand un cinquième, voire un quart des populations des villes subsistent sur à peine 5 % de leur superficie.

Baisse des ressources, menaces climatiques, risques sanitaires, exactions financières, déclin des emplois, explosion démographique marquent notre horizon et probablement un appauvrissement plus général inéluctable.

Dès 1990, la Banque mondiale prédisait que la pauvreté urbaine serait politiquement le problème le plus explosif des temps à venir. Avec nos futurs 9 milliards d’êtres humains, il serait temps que nous gouvernements, et les bétonneurs qui les entourent, considèrent avec gravité ce formidable défi.

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