Allemagne : Le charbon bien sûr.

Face à l’abandon du nucléaire, décidée par Angela Merkel, et au recentrage à terme sur le tout renouvelable, les producteurs allemands d’énergie classique n’ont pas dit leur dernier mot et déclenchent une intense bataille médiatique. Sur fond d’élections législatives.

Famille réunie, ils sont là, sous l’auvent de leur maison. Le père agriculteur est plus que pensif. A-t-il envie à 50 ans de cultiver des terres nouvelles, ailleurs, alors que les siennes vont disparaître dans un trou béant, au profit d’une mine de charbon à ciel ouvert. ?

Cela fait quoi en effet de voire son exploitation sombrer sous l’action d’excavatrices géantes et, avec elles, un passé de travail, une histoire, des habitudes ?

Table rase

Cela fait quoi de voir les maisons de son village rasées de la même manière, les anciennes et les neuves, les commerces avec, et même la belle église pourtant classée, dont les murs sont imprégnés de tant d’événements familiaux, joyeux et tristes ?

Immerath, comme plusieurs autres communes, se voit sacrifiée sur l’autel d’un nouvelle fièvre, l’or brun.

Une mine de 40 km2

Entre Ruhr et la frontière Pays-Bas, son nom se déclinera désormais avec la plus grande mine de lignite à ciel ouvert, d’une surface de 40 km2.

Deuxième producteur d’électricité à base de charbon, le conglomérat, RWE, qui exploite, ne lésine pas sur les moyens. Les 760 habitants doivent être déplacés, comme le seront également les tombes du cimetière.

Relogé mais pas heureux

Certes, on les relogera, mais ceux qui ont déjà vécu ce déracinement, pas loin d’Immerath, sont moyennement heureux.

Ils n’habitent plus un village, avec tout ce que cela implique de cohésion et de vie sociale, mais des logements tout neufs, dans une sorte de quartier résidentiel, typique des périphéries de ville.

De l’argent à tout va

RWE, un des 4 grands énergéticiens allemands,  sait bien qu’il faut prendre des gants en l’occurrence et indemnise à tout va, avec l’implication des riverains concernés, mais l’épreuve reste.

La Cour constitutionnelle doit se prononcer sur la légalité de ce déplacement de population, considérant, selon les arguments du plaignant, que l’approvisionnement en charbon n’est pas indispensable à la production énergétique du pays.

350 000 m3 en un jour

Décision à l’automne, mais RWE a déjà le permis en mains. Et les bras géants sont à l’oeuvre sur le site, 350 000 m3 extraites toutes les 24 heures.

« La situation est sérieuse, nous prenons le mauvais chemin », déclarent dans le Handelsblatt, deux des grands patrons, qui montent au front.

La hantise du blackout

Le virage énergétique est cause, selon eux, du prix élevé auquel les Allemands paient leur facture d’électricité, il met l’industrie en difficulté et menace les centrales classiques qui, un jour, devront être fermées, car plus rentables.

Même le grand Spiegel s’y met, notant la hantise des Allemands quant à un éventuel blackout, le jour où vent et soleil ne fourniront pas l’approvisionnement domestique espérée.

Un nouveau front

Que les 4 producteurs nationaux aient beaucoup à perdre dans le changement en cours, la fin du nucléaire en 2022, ne fait aucun doute. Ils ont engrangé 28 milliards de résultat l’an dernier, avant impôts.

Alors ils se portent massivement sur un autre front : on oublie l’atome, on revient au charbon. 23 nouvelles centrales à charbon vont être construites outre-Rhin, l’une toute nouvelle, de 2200 Mw, vient d’être inaugurée mi-août près de Cologne.

L’industrie avant tout

Feu vert donné par le Ministre de l’environnement Peter Altmaier lui-même, proche de la chancelière. Le gouvernement allemand, échaudé par le coût toujours plus élevé de l’énergie, considère que l’industrie ne peut se permettre d’importations massives provenant d’une importation étrangère.

Les industriels de plus soulignent avec force qu’il serait dommage que le pays ne profite pas de ses importantes richesses minières. L’Allemagne a la chance en effet de posséder dans son sous-sol les deuxièmes réserves les plus importantes après la Russie.

Un lâcher de CO2

Il est certain que le coût réel de l’électricité d’origine éolienne ou solaire est supérieur à celui thermique ou nucléaire en raison notamment de milliards d’euros en subventions. Mais en relançant le charbon, l’on balaie gaillardement l’élément environnemental.

Une fois en fonction, ces nouvelles centrales lâcheraient dans l’atmosphère 170 millions de tonnes de CO2, soit 20%  des émissions actuelles du pays, près de 5 % des émissions de l’Europe.

 22 300 victimes

Nos voisins outre-Rhin sont déjà, de loin, le pays européen, dont le bilan d’émission par habitant est le plus important, soit 9,10 tonnes/par an, France 5,60, Espagne 6,30. Et l’on en connaît les conséquences sanitaires.

22 300 morts en Europe, chaque année, ce serait le triste bilan de l’activité des 300 plus grandes centrales à charbon européennes.

Un choix de société

Les analyses, selon des études de l’Université de Stuttgart,  semblent indiquer que dans certains pays, très dépendants du fossile charbon, le nombre de victimes serait plus important que celui lié aux accidents de la route…

Les récentes élections allemandes changeront-elles ces choix ? Tout dépendra de la coalition gouvernementale qui verra le jour. Mais l’avenir énergétique d’un pays reste aujourd’hui, au delà de la politique, un choix de société.

 

Dessin de Jérôme LINIGER sur un scénario de Nicolas JACQUETTE