Du lin bâtard pour les réservoirs d’avion

Voici que l’armée pense « vert». La nouvelle vient des Etats-Unis, où se sont déroulés avec succès les premiers vols d’un avion de combat A-10C Thunderbolt avec un carburant constitué d’un mélange de graisses animales et d’huile de cameline. La démonstration étant faite, d’autres tests suivront dès cet été sur le fameux F-15, le transporteur C-17 et le furtif Raptor F-22, en extinction de production. Objectif déclaré, faire voler la flotte de combat US dès 2016 avec un carburant qui, pour moitié, sera d’origine autre que fossile. Mais songer à des engins de guerre volant « écolo » exige une certaine pirouette intellectuelle.

Cette huile de cameline (pourrait être un joli prénom) débarque dans l’actu. Cameline, de la famille des brassicacées, avec sa parentèle moutarde, chou, colza, brocoli, la plante est pourtant une vieille connaissance, que l’on cultivait il y a 3000 ans déjà, du temps des Celtes, le plus couramment pour cuire les aliments – rien à voir avec l’huile de lin, confusion habituelle. On la dit riche en acides gras oméga, antioxydants et son goût fait penser à l’amende. Aussi présente dans le registre des médecines naturelles, appelée parfois « le sésame allemand » Rare dans les commerces, appréciée à l’occasion dans les salades, crudités, vinaigrettes. Mais la pauvresse a sombré face à l’envahissement des monocultures industrielles actuelles. Subsistant dans de derniers réduits disparus depuis des décennies. Ce dont elle peut remercier les aléas du destin, car elle a ainsi préservé originalité et potentiel biologiques. La propulsant bientôt comme le végétal idéal du monde aéronautique. Car l’aviation civile s’y intéresse aussi. Airbus et la compagnie Tarom se sont associées pour une plateforme de traitement et de production de bio-kérosène dérivé de la cameline. « Pour la première fois sont réunis agriculteurs, raffineurs et une compagnie aérienne, afin de lancer la commercialisation d’un agrocarburant durable », déclare le directeur en charge des énergies nouvelles d’Airbus, Paul Nash à Aerobuzz (voir aussi [billet du 24/01/08 « Régime bio pour les avions de ligne »|/index.php?post/2008/06/27/Des-avions-de-ligne-au-r%C3%A9gime-bio]). Le constructeur canadien Bombardier parie à son tour sur la cameline, ce « lin bâtard », pour ces avantages certains par rapport au carburant classique : Réduction des émissions de gaz à effet de serre jusqu’à 80 % comme des émissions de dioxyde de souffre ( (SO2) et surtout, d’un point de vue environnemental, il ne fait pas concurrence à la production alimentaire, se cultive en alternance avec sur le blé ou sur des terres marginales, servant en bout de chaîne de « moulée pour le bétail et l’industrie laitière. Le choix de la Roumanie peut surprendre, si ce n’est que la cameline y est indigène, qu’elle peut être facilement cultivée et récoltée par de petites exploitations agricoles. Qu’en outre elle résiste bien aux insectes et aux maladies, donc sans trop de traitement intensif. Airbus a confié la supervision du projet à une organisation non gouvernementale basée en Roumanie. Faisabilité, développement agricole durable, récolte et transformation, enfin évaluation des possibilités de raffinage pour déterminer la capacité de production locale. On s’amusera donc de relever que l’un des pays européens les plus en difficulté, la Roumanie, peut aujourd’hui sourire à un autre avenir grâce à un plant millénaire propulsant touristes et hommes d’affaires dans le ciel du 21ème siècle.