Allemagne, plein vent sur l’éolien au large

Qui ne se souvient avoir joué au Monopoly en famille. Il existe un nouveau Monopoly, où les mises sont gigantesques, car il ne s’agit plus d’acheter dans la fiction des hôtels, immeubles ou rues, mais en l’occurrence des champs d’éoliennes offshore. Et l’un des champions dans ce domaine est un Allemand du sud, Willy Balz, avec sa société Windreich Ag.

Résumons : Après avoir décidé la transition vers le non-nucléaire, l’Allemagne doit mettre en œuvre ce qu’il faut d’énergies renouvelables, entre autres, susceptibles de compenser la fermeture des 11 centrales encore en activité. Et notamment, misant sur l’énergie du vent, une impressionnante batterie de 6000 éoliennes en Mer du Nord et Mer Baltique, de quoi fournir 25 000 MW d’ici à 2030. Consciente de l’énorme défi, le gouvernement fédéral a aussitôt dégagé un crédit fédéral de 5 milliards d’€, accéléré les procédures et garanti à l’avenir de payer à bon prix chaque kw/h produit sur un temps donné.

Willy Balz s’est engouffré dans la brèche, ouverte précisément aux PME comme Windreich AG, en marge des 4 grands fournisseurs d’énergie (privés). C’est un vieux loup de mer dans la partie, 1000 de ses éoliennes se dressent déjà dans le paysage allemand, dont quelques-unes à l’étranger. Mais l’enjeu, cette fois, est d’une autre nature. Dans ses bureaux, il montre volontiers la carte des spots libérés par l’administration fédérale en Mer du nord, sur lesquels il a pris une option, s’adjugeant un tiers des lots, 23 en l’occurrence, espérant à terme en rafler la moitié.

Construire des éoliennes offshore à 100 km des côtes coûte cher. Les règles de ce nouveau Monopoly sont compliquées. Si le « terrain » est gratuit, les études avant installation sont multiples. Rien que celles concernant l’impact sur le fond, l’eau, le climat, la faune et la flore nécessitent un premier chèque de 20 à 30 millions d’€ par parc. Sans oublier les intérêts de la pêche et du tourisme et un environnement entravé de routes maritimes, câbles sous-marins, pipelines et zones protégées.

Pour amorcer son tout premier parc offshore, baptisé Global Tech 1, la mise de départ se montait à 400 millions d’€, sur lesquels il a pris un crédit personnel de 75 millions, engagé une partie de ses biens et fait appel aux épargnants. Lesquels n’ont pas tardé à faire la queue au guichet pour lui prêter leurs économies : caisses de retraite, fonds gouvernementaux, groupes industriels, compagnies aériennes, chemins de fer, investisseurs chinois, riches familles d’outre-Rhin, (système propre à l’Allemagne, impossible en France). Il a aussi réussi à amener les banques dans le bateau, ce sont elles qui couvriront le reste. Mais, pour avoir les mains libres, il restera néanmoins seul actionnaire.

Dès le début novembre, la société Windreich a pu annoncer avoir clôturé l’aspect financier du projet, placé sur le marché de l’investissement. 700 millions de fonds propres avaient déjà été recueillis en 2008 et 2009 en dépit de la crise économique. C’est dire le crédit de Balz dans ce Monopoly à grand risque.

Ayant grandi dans la ferme paternelle, il dit pouvoir encore aujourd’hui conduire un tracteur avec 2 remorques en marche arrière. Dans la maison natale, pas d’argent pour des études prolongées, un C.a.p d’électromécanicien pour débuter, un bac technique chez Daimler pour suivre, puis il développe des logiciels pour des ordinateurs de poche à destination d’agence immobilières et de concessionnaires automobiles, le familiarisant avec les techniques de financement et finit par mettre la main à la pâte pour construire sa propre éolienne de 100 mètres de haut.

C’est un athlète, 1,85 mètres pour 85 kilos, large sourire, toujours en mouvement. Il n’a peur de rien, pas même de la concurrence de la bande des 4 grands de l’électricité allemande, bien plus argentés. Mais trop empêtrés dans la difficile et nécessaire reconversion vers l’abandon du nucléaire, qui, voici quelques mois, leur est tombé sur la tête comme une foudre céleste. Il les juge timorés et piètre adversaire au bout du compte. Il sait aussi s’appuyer sur des sociétés de renom pour les étapes à venir de Global Tech 1. Notamment une filiale d’Areva pour la construction des éoliennes. Coût total de l’opération : 1,6 milliards d’€. Ce genre de défi, dit-il, on ne l’apprend pas à l’école, même pas dans les facs de gestion.

Une fois ancrées au large, les tours, avec 2 fois plus de vent que sur terre ferme, seront probablement aussi rentables que les centrales nucléaires, à raison de 1,4 milliards de kw/h produits par an, satisfaisant aux besoins de 450 000 foyers. Le gouvernement fédéral s’est engagé à payer 15 cents le kw/h sur 15 ans, 19 cents sur 8 ans. Aux investisseurs qui lui font confiance, il affiche un rendement de 6,5 % sur 5 ans (mise minimum de 1000€).

Les 80 éoliennes seront branchées au réseau dès 2012. La mer du nord offre un territoire idéal, profonde de 50 m au plus, constamment ventée, les rotors tournent déjà à force 3. Une station test a fourni 5% de plus d’énergie que prévu. Si tout se passe comme prévu…

Le crapaud - Nicolas Jacquette - Allemagne, plein vent sur l’éolien au large

Car d’ici là il faut affronter la périlleuse phase de construction des engins offshore face à la violence de la mer, tempêtes et vagues. Un concurrent, Bard, initiateur d’un premier parc, a rencontré dans cette phase de réelles difficultés et, de ce fait, pris un retard tel qu’il a frôlé le désastre financier.

Père de 4 enfants, grand amateur de vitesse, passionné de voitures de collection, il aime rouler avec le champion de formule 1 Sebastian Vettel et se déplace dans 2 avions personnels à moteur turbo. C’est avec la même hâte qu’il s’engage dans son parc suivant, MEG 1, pour 2013 (un troisième est déjà sur les rails du financement).

A 50 ans, parti de rien, Balz illustre une de ces exceptionnelles réussites venues de nulle part comme on en connaît de nombreuses outre-Rhin. Et pourrait, vu son appétit et entregent, devenir une « légende », l’un des plus grands fournisseurs individuels d’énergie dans ces années 2010. Des années où l’Allemagne signera son troisième renouveau historique après la défaite de la guerre, avec la reconstruction du pays, puis la réunification, enfin aujourd’hui le chemin entrepris vers le non-nucléaire.

le crapaud et ses regards croisés:

Le crapaud - Jérôme Liniger - Allemagne, plein vent sur l’éolien au large