Schönau, le Graal de l’énergie citoyenne

Comment un village, prenant son avenir énergétique à bras le corps, a chassé son fournisseur habituel d’électricité* pour en arriver à vendre du courant propre à plus de 140 000 foyers ! C’est l’extraordinaire histoire de Schönau en Forêt noire, qui devrait être à l’esprit notamment de tous les participants à la Cop 21.

C’est un village en effet, de 2500 habitants, station climatique nichée dans un joli cadre de collines vertes. On y cultive les traditions locales, fêtes et convivialité autour de repas bon enfant richement servis.

Mais ce sont aussi des habitants qui ont le sens de la responsabilité et de l’engagement citoyen. Aussi, prennent-ils de plein fouet la catastrophe de Tchernobyl, en 1988, jugeant qu’à 2000 kilomètres d’éloignement, ils en subiront forcément les émanations nocives.

En finir avec le nucléaire

Les mamans n’osant plus sortir avec leurs enfants, une association se crée afin d’informer la population sur les dangers possibles des retombées, air comme nourriture, d’autant qu’à leurs yeux plane une autre menace potentielle, la centrale de Fessenheim à 2 pas.

L’idée chemine qu’une première réponse serait, sinon d’en finir avec l’énergie nucléaire, du moins de procéder déjà chez soi à un maximum d’économies d’énergies. Un concours est lancé, avec des résultats encourageants , 10% de gagné sur la consommation du village 1 an plus tard.

Un médecin pour mobiliser

Ce qui amène l’association, avec à sa tête un médecin et son épouse, à entreprendre une démarche auprès du fournisseur régional d’électricité, privé, KWR (Kraftwerke Rheinfelden) avec trois exigences :

Ne plus être alimenté en électricité d’origine nucléaire, améliorer les tarifs pour les renouvelables déjà actifs dans la commune, accepter un tarif plus incitatif pour les économies réalisées.

Un chèque de 100 000 DM

KWR se gausse, traite la demande avec arrogance, bien décidée à maintenir son monopole sur la région et le village, au moment où s’annonce le renouvèlement du contrat avec la commune. Et, si renouvellement il y a, fait miroiter un chèque de 100 000 DM (à l’époque) au bénéfice de la municipalité.

L’idée a germé comme ça : Pourquoi ne pas organiser notre propre réseau d’alimentation/production ? « Nous étions des utopistes concrets, dit le Docteur Stadek, nous ne doutions pas de cette possibilité ».

Un référendum pour le « oui »

Une étude est décidée, les bénévoles accourent. Mais il s’agit aussi de convaincre les réticents, pour la plupart proches des chrétiens-démocrates (Cdu).

On départagera avec le seul instrument, un référendum local, capable de faire avancer ou bloquer le projet. Nous sommes en 1991. L’association mobilise pour le « oui ».

100 pains d’épices

On chante les vertus du projet façon « cabaret » dans les tavernes, on imprime des t-shirts, le boulanger enfourne 100 pains d’épices, avec inscrit dessus »JA », que l’on va distribuer de porte à porte.

Le référendum est gagné par 150 voix d’avance.

A 4 ans du renouvellement du contrat avec KWR, il s’agit maintenant d’organiser la naissance et la mise en production de ce futur réseau citoyen. On appelle pour conseil experts et techniciens de toute l’Allemagne.

Soudain des précurseurs

On organise des conférences partout, on sollicite à l‘occasion, avec succès, des dons pour la belle idée. Un fort soutien émotionnel s’exprime très vite dans tout le pays. Une banque s’engage dans le projet pour 2 millions de DM.

«  Nous étions tout d’un coup des précurseurs, capables d’initier une nouvelle forme d’indépendance énergétique, dans de petites unités locales, l’avenir en quelque sorte, en se débarrassant de la pression monopolistique des grands conglomérats ».

Des pots de confitures

La faisabilité de ce réseau citoyen local étant enfin avérée, les tensions s’avivent. Un deuxième référendum est décidé, pour la poursuite du contrat de la municipalité avec KWR ou sa dénonciation.

Cette fois, il s’agit de voter « Non ». La même mobilisation se met en place. On ne distribue plus de pain d’épices mais des pots de confiture, fait maison, dont on a remplacé l’étiquette d’origine par un « NEIN ». Le « Non » passe de justesse.

Je suis un perturbateur

KWR réclame 8,7 millions de DM de dédommagement pour la reprise de son réseau de distribution. L’association considère qu’il y a surévaluation éhontée, menace d’un procès. Elle engage une campagne de collecte avec une des meilleures agences de publicité allemande sur le thème « Je suis un perturbateur » (accusation répétée par l’adversaire, KWR).

À raison de 5 DM, le soutien vient de partout, y compris de l’étranger. 2 millions de DM tombent dans l’escarcelle pour parer aux frais d’un éventuel procès. Une sympathisante française signe un premier chèque de 20 000 DM, on la remercie, elle en fait un nouveau de 25 000 DM.

De la verte, rien d’autre

Devant cette lame de fond, KWR réduit ses exigences, redoutant le procès et l’un des ses représentants viendra même présenter les excuses du groupe aux initiateurs de Schönau et, courageusement, les féliciter.

10 ans après cette bataille épique (marquée également de tracasseries administratives), le succès est là. Une société, EWS (Elektrizitätswerke Schönau) a pris en mains le réseau citoyen, elle a mis la commune à l’abri de tout approvisionnement d’électricité d’origine nucléaire ou fossile.

En soutien avec l’île de Sein

L’été dernier, cette électricité provenait pour une grande partie de centrales hydrauliques en Norvège et de l’éolien allemand. EWS soutient par ailleurs d’autres projets citoyens de même nature (dont celui de l’ïle de Sein ), cette volonté qui se multiplie de re-municipalisation.

Aujourd’hui, elle alimente en électricité verte non seulement les habitants de Schönau, mais 140 000 foyers dans le sud de L’Allemagne.

Consécration majeure, elle s’est aussi vue choisie par la ville de Stuttgart pour l’approvisionner désormais en courant propre.

 

* Il n’y a pas d’équivalent Edf (établissement public à caractère industriel et privé) en Allemagne, seuls des producteurs-fournisseurs d’électricité au sein de grands conglomérats privés, parfois associés à des Länder.