443 000 réfugiés pour un anniversaire

Les médias n’en parlent guère. Avec Dadaab, le Kenya accueille le plus grand camp de réfugiés du monde. Venus de Somalie et fuyant la terrible dégradation de leur pays. Vincent Briard, en charge de la protection de l’UNHCR sur place, décrit la situation

Petite ville du Kenya à la frontière de la Somalie, Dadaab est de facto aujourd’hui, en ce 20ème anniversaire de son existence, la troisième ville la plus peuplée du Kenya, derrière la capitale Nairobi et le centre économique, Mombassa. Il s’agit en fait de cinq camps séparés les uns des autres. Les dernières estimations que nous avons menées amènent à comptabiliser 443 000 personnes pour l’ensemble du regroupement.

Déjà la 3 ème génération

Les 3 premiers camps ont été créés en 1991, après les exodes dus à la chute du dictateur somalien Siyaad Barre et l’effondrement du pays. Ils étaient destinés à accueillir 90 000 personnes – 30 000 chacun, et ce de manière transitoire.

La situation continuant à se dégrader en Somalie, l’afflux s’est maintenu tout au long des années 90, encore plus important en 2006 et 2007, avec la montée en puissance des groupes islamistes.

Puis il y a eu la sécheresse de 2011, jusque 3000 personnes par jour, 130 000 sur l’année. Désormais, c’est la troisième génération de réfugiés qui y vit : les enfants des adultes qui sont nés à Dadaab il y a 20 ans…

Pas le droit de travailler

L’Etat Kenyan est généreux. Mais ce qui ne serait pas facile (et peut être pas accepté) par un pays riche l’est encore moins pour un pays en voie de développement.

Deux restrictions : les réfugiés n’ont pas le droit de travailler formellement dans le pays, pour ne pas « prendre le travail des kényans », qui font face eux-mêmes à suffisamment de difficultés.

Pas le droit à la nationalité kényane non plus ou à une autre forme de citoyenneté. Cependant les contributions nettes des réfugiés à l’économie locale sont tangibles.

Fuir pour aller où ?

Les limites du camp sont poreuses. Certains tentent leur chance vers l’Afrique du Sud, vers l’Amérique même, en suivant des couloirs migratoires clandestins et risqués.

Par ailleurs, même avec une frontière officiellement fermée entre la Somalie et le Kenya, il existe des flux permanents entre les deux pays, et entre les camps. Pour l’instant, il n’y a pas de rapatriement volontaire, c’est-à-dire de retour au pays.

Tous les attributs d’une véritable ville.

Il existe des écoles et des hôpitaux, gratuites : les organisations humanitaires assurent l’éducation et la santé. Les enfants de Dadaab ont même des résultats meilleurs que la plupart des autres enfants de la région.

Quand à la couverture médicale, elle est très supérieure à celle alentour. Dans les camps, il y a également des marchés importants, de petits hôtels et de petites échoppes plus ou moins tolérées où on peut acheter de tout.

Dadaab étant la troisième ville du pays, il y a logiquement des échanges économiques avec la région autour du camp. Les réfugiés arrivent avec une partie de leurs biens, reçoivent de l’argent de la diaspora très active et joue un rôle important sur place.

Un formidable déploiement humanitaire

Le contact est d’ailleurs maintenu avec la Somalie grâce à la radio, aux centres Internet du camp, aux téléphones portables… Toutefois ceux qui sont arrivés en 2011, pendant la famine, souvent plus démunis, sont plus vulnérables.

On échange du bétail (chèvres, chameaux, etc.), par exemple. Il existe aussi un petit commerce informel : objets de cuisine, textiles, parfois, il faut bien le reconnaître, certains revendent une partie de l’aide humanitaire.

Les 26 organisations humanitaires présentes sur place – coordonnées par le UNHCR- emploient environ 10 000 personnes. Pas de vrais emplois, mais ils perçoivent une indemnité.

Une situation qui se détériore

Longtemps, la menace principale consistait en des gangs ou des coupeurs de route, détrousseurs de biens. Fin 2011, l’armée kenyane, aidée de troupes du gouvernement somalien de transition, a mené des actions contre les miliciens islamistes d’Al-Shabaab. Depuis, les attentats se multiplient au Kenya et la sécurité à Dadaab s’est nettement détériorée.

Mines artisanales et kidnapping

Les menaces pèsent souvent sur les personnels humanitaires. Ainsi, en octobre 2011, deux jeunes femmes de MSF ont été kidnappées, ainsi qu’un collègue le mois précédent. Et quatre autres humanitaires kidnappés ont été libérés par miracle par une intervention en Somalie, en juillet 2012.

De nombreuses mines artisanales ont été utilisées contre nos escortes – car les convois ne circulent que sous sécurité policière. Dernièrement, une grenade a blessé grièvement 5 policiers kenyans qui nous protégeaient… Premiers visés, les agents de l’Etat Kenyan, qui ont la responsabilité en premier lieu de la sécurité des camps.

Sur les réfugiés aussi, tout particulièrement ceux qui aident les autorités ou les humanitaires, dans les écoles, les dispensaires ou les circuits d’acheminement de l’aide alimentaire…

Poursuivre l’action malgré les dangers

Malgré les murs anti-explosions et les barbelés du compound où nous habitons, nous continuons à être présents chaque jour dans les camps. Nous circulons en convois protégés. Il faut bien continuer ! On ne va pas abandonner les gens !

Nous avons mis en place des mécanismes permettant l’intervention d’intervenants moins exposés aux risques. Le soir venu, on trouve même le temps de faire du sport, de socialiser ou même de jouer à la pétanque…

Un avenir pour l’instant hypothétique

Avec les attentats, il y a une forte pression du gouvernement kenyan pour fermer les camps et renvoyer les réfugiés chez eux. Mais, même si les signes positifs se multiplient avec le nouveau gouvernement somalien, la situation est encore beaucoup trop fragile. A quoi s’ajoutent les rivalités entre les clans et groupes irréguliers encore très fortes.

Or, le droit international est très clair : tout mouvement de retour doit être volontaire. Si je suis optimiste, j’imagine que dans quelques années, la situation s’améliorera suffisamment pour qu’un retour volontaire soit possible, mais cela reste lointain et hypothétique.

Un seul message

Même si la situation en Somalie est désormais un peu oubliée, il faut qu’elle reste présente à l’esprit des citoyens et des donateurs en Occident et qu’ils ne renoncent pas à nous soutenir.

Informations recueillies par Olivier Blond, de GoodPlanet Infos. Avec les remerciements du « crapaud.fr »