Le crapaud - Nicolas Jacquette - Fracture hydrolique pour gaz de schiste

Le gaz de schiste met le feu

Après le pétrole au 19ème siècle, les Etats Unis profitent d’un nouveau filon énergétique, le gaz de schiste. Censé leur assurer dans peu de temps retour à l’indépendance économique et, partant, croissance et emprise politique retrouvée. L’industrie ne s’embarasse pas de scrupules environnementaux, mais les détracteurs ne désarment pas.

Scène étonnante. Voici un habitant dans une des zones d’exploitation. On le voit ouvrir un robinet et tendre un briquet vers l’eau qui s’en écoule. L’eau s’enflamme, surgit une énorme flamme orange… La preuve pour Josh Fosh, auteur américain du documentaire « Le ciel est rose » que le gaz et son cocktail d’hydrocarbures remonte dans les nappes phréatiques, alors que les exploitants affirment que le processus d’extraction est totalement hermétique. Le film a fait le tour du monde.

Résultat de la décomposition d’argile riche en matières organiques, le gaz de schiste s’est mis à l’abri dans les substrats des roches poreuses qui le produisent, jusqu’à ce que l’homme, toujours en besoin de ressources nouvelles, décide, fort da sa technologie à l’épreuve de tous les défis, d’aller l’y dénicher grâce à la fracturation hydraulique.

On pratique déjà en 1821

Ce « fracking » consiste à provoquer nombre de micro-fractures dans la strate riche en gaz, afin d’aider le combustible à se déplacer vers le puits de sortie. La roche se brise sous l’effet d’injection d’eau à haute pression, à laquelle on ajoute divers additifs, sable de granulométrie, biocides, lubrifiants, détergents.

La technique a ses lettres d’ancienneté. Le premier puits commercial de gaz de roche outre Atlantique remonte à 1821. Voici deux décennies, la ressource n’a fait que monter en puissance. Près de 15 000 puits en 1996 pour croître à 493 000 en 2011, dont 93 000 au Texas. Promesse, elle fournira 40 % des besoins américains contre 20% aujourd’hui. Autant dire que l’industrie minière n’entend pas se priver de cette manne.

Un lobbying qui a de l’argent

Tout est fait pour les y aider. Grâce à de fortes subventions et des législations locales très favorables. Une loi notamment interdit aux propriétaires de refuser un forage, si sollicités. Sans oublier des stratégies de lobbying richement financées. Et, pour répondre à la démonstration de l’eau qui explose, ses représentants déclarent simplement qu’il s’agit d’un faux.

Mais la bataille est loin d’être jouée, en présence d’une population américaine de plus en plus sensible aux aléas environnementaux. Mobilisés, les opposants jouent du recours aux publications scientifiques, débats dans les blogs ou sites internet dédiés, voire aux manifestations.

Des protections défaillantes

A la demande du Congrès américain, des études menées en 2010 quant aux conséquences sanitaires de l’exploitation de gaz de schiste sur les eaux potables et la santé publique sont confortées par le film documentaire de Josh Fosh. En fait, l’industrie n’a pas les moyens de prévenir ou de résoudre complètement les problèmes par cette technique.

En Pennsylvanie, autre fleuron de l’activité, le Département de protection de l’environnement avance que 121 puits sur ceux forés en 2011 sont défaillants en matière de protection des nappes phréatiques. Le président du conseil municipal de Pittsburgh (même Etat) en a fait interdire l’exploitation sur son territoire.

Une presse peu curieuse

Une enquête du New York Times confirme que des produits radioactifs et des cancérigènes dangereux comme le benzène sont traités de manière inadéquate et rejetés dans les réserves d’eau.

Constatations que l’on retrouve dans le documentaire de Josh Fosh qui dénonce, outre les risques de l’exploitation du gaz de schiste et ses nombreux effets collatéraux, aussi les méthodes de communication de l’industrie (comparable aux mensonges éhontés de l’industrie du tabac) et la difficulté ou la faible volonté de la presse, outre le New York Times, à réaliser un véritable travail d’investigation.

Conflit d’intérêts

Un autre événement enflamme les esprits. Dirigé par le géologue Charles Goat de l’Université du Texas, un rapport de 400 pages prétend régler la controverse entre réalité et fantasmes liés aux gaz de schiste, dédouanant les exploitants des maux, qui leur sont jetés à la figure. Or ce chercheur est aussi membre du conseil de direction et actionnaire d’une société de forage. Empochant au cours de 5 années l’équivalent d’environ 1, 23 millions d’€ en actions.

13 membres du conseil de l’Energy Institut de l’université texane ont des liens forts avec le secteur des hydrocarbures, l’institution recevant elle-même de gros subsides des pétroliers. De plus, le rapport serait bâclé, de nombreuses sources étant improprement référencées.

Quel potentiel en Europe ?

La position de la France ne peut qu’en être renforcée, qui considère la fracturation comme trop dangereuse. Quant à l’Europe, sa réticence à prendre des risques sur cette exploitation, comme pour les sables bitumineux, la met en position de désavantage concurrentiel, estime le commissaire à l’énergie, Günther Oettinger. En attendant des normes d’extraction plus sévères préparées par le gouvernement américain, et vu le succès en Amérique du nord, des géologues se sont mis en chemin pour explorer le potentiel du sous-sol européen.

« N’enterrons pas le débat sur le gaz de schiste », lit-on dans un édito récent du Monde. Chez nous, il sera sur la table dès l’automne, 14 et 15 septembre, quand s’ouvrira les discussions sur la transition énergétique.