Le crapaud - Jérôme Liniger - Le vélo en croisade

Le vélo en croisade

Yves Montand le chantait si bien : « Quand on partait de bon matin… À bicyclette… » C’était fin des années 60, copains, âge tendre et longues ballades. Entre temps, l’auto, « Vache sacrée », a pris d’assaut villes et campagnes. Mais la roue tourne. La bicyclette commence à tenir sa revanche.

Copenhague donne le ton. Sur un site local, une sorte d’horloge indique le nombre de kilomètres, qui y sont parcourus chaque minute, soit 800, l’équivalent du tour de la terre sur 1 heure (cyclechic.com).

Il faut dire qu’en plus d’être une ville relativement plate, la capitale du Danemark a l sensibilité vélocipédique : pistes cyclables dégagées des voies automobiles, à double espace pour les usagers plus rapides, feux réglés en vague verte à 20 km/heure, pompes à air fixées par endroits pour regonfler les pneus, marches aux feux pour ne pas avoir à poser le pied par terre.

Stationnements en rafale

Sur décision des urbanistes locaux, rouler à vélo est devenu la norme. Suscitant 35 % de l’ensemble des déplacements. Sans que les utilisateurs le ressentent comme une contrainte, mais comme un plus dans leur vie personnelle et dans leur environnement urbain, modifiant le rapport à la ville, aux saisons, au climat, à la nature.

On calcule les carrefours en tenant compte du flux des vélos, on essaie de résoudre les embarras que posent leur stationnement en rafale sur les places publiques, les sorties de métro, les trottoirs. Avec l’avantage de ne pas devoir trop se soucier des risques de vol, vu la quantité.

Les 4 roues condamnés à la périphérie

Et on dégage les budgets nécessaires pour une amélioration permanente du réseau, l’entretien des pistes, la continuité des parcours, une signalétique performante. Dans les nouveaux quartiers résidentiels récemment construits, les véhicules à moteur sont condamnés à transiter par les voies extérieures, ne serait-ce que pour aller chercher le pain à la boulangerie proche.

Affaire de culture certes, il y a bon temps que les pays nordiques, Pays Bas en tête, ont ouvert la voie. Habitudes locales, militants acharnés. L’Allemagne n’est pas en reste. A Francfort, pourtant ville d’affaires, la circulation à vélo a doublé en 10 ans, faisant reculer de 20 % le trafic automobile.

Un parking vélo de 3000 places

À Hambourg, la ville se vend déjà comme La Mecque du vélo. En Westpahlie, la gare de Münster met à disposition un parking « vélo » de 3000 places, avec possibilité à proximité d’un centre de lavage automatique, le tout gardé par des caméras.

Déjà, outre-Rhin, on note que le nombre des jeunes cherchant à passer leur permis de conduire baisse sensiblement– aux Etats Unis, nouvelle tendance, seuls 44 % des moins de 20 ans s’y sont attelés en 2010 contre 68% il y a 10 ans. Arriver au boulot à vélo n’exclut pas une tenue recherchée, pour peu que le patron ait donné l’exemple.

L’excentricité pouvant aller jusqu’à des randonnées de sensation extrême avec le macadam en sortie « naturiste ». À Amsterdam, ils sont des centaines, tous sexes confondus et nus comme des vers, à sillonner la ville certains beaux jours, pour encourager les édiles à… assurer une meilleure sécurité aux cyclistes. Ces démonstrations se répandent en Angleterre , au Canada et même à Mexico City.

Développer les courses à vélo

Paris surprend déjà les touristes étrangers par le nombre de vélos en circulation, en dépit de l’absence de pistes dédiées et d’une circulation à donner le tournis. Velib a fait la démonstration de son utilité, dont les stations ont grignoté peu à peu d’importants espaces de parking, au grand dam des automobilistes.

On connaissait depuis longtemps les coursiers à vélo et leurs désagréments au boulot par gros temps de pluie ou de froid. Créée il y a 10 ans, une société start-up de Nanterre a décidé, elle, que toutes les livraisons inférieures à 500 gr pour Paris ou la Défense sont effectuées à vélo. Une économie de 50 tonnes de rejet Co2.

Les 23 coursiers (contre 76 motorisés), équipés d’un PDA (modem), reçoivent les ordres de la centrale, ce qui met le client en situation de suivre chaque étape de l’expédition. En souci de développement durable, les entreprises encouragent volontiers ce type de prestations « écologiques ».

Bateau-mouche du bitume

Aux alentours des lieux touristiques, la ronde des vélos-taxi à l’indienne ne cesse d’étonner. On a encore en tête les images de l’après-guerre où, faute de véhicules et d’essence, on se laissait volontiers transporter assis dans une remorque, collé-serré, tracté par un cycliste en knickerbocker et béret basque.

Pour des courses de quelques euros, les visiteurs de la capitale, amateurs de temps arrêté, apprécient aujourd’hui une promenade peu chère à 25 km/heure maximum, qu’un pratiquant qualifie comme une errance de bateau-mouche du bitume.

Mais à Copenhague, inimaginable contrecoup : Dans certains quartiers, la ville serait aujourd’hui dépassée par l’engouement vélocipédique. Stationnements insuffisants, pistes déjà trop étroites pourtant larges de 3 à 4 mètres (1,20 à 1,50 en France).

Des comportements irresponsables

La Fédération danoise de cyclisme redoute de ce fait un accroissement des accidents. « En heure de pointe, ils se battent pour s’imposer sur les pistes, se montrent fréquemment agressifs , voire imprudents, risquant de se mettre en danger. Ils bafouent les lois, se comportant de façon complètement irresponsable », note un élu.

Les militants tempèrent : « Il est vrai que le vélo en période de pointe n’est pas fait pour les plus timides (sic). Mais l’heure n’est certainement pas à décourager son usage ».

Essor du vélo électrique

Plus la bicyclette voudra s’imposer, plus le partage de la chaussée se compliquera : bus, taxis, camionnettes, autos, 2 roues, rollers, piétons, auxquels viendront s’ajouter les vélos à assistance électrique (dont le nombre progresse sans cesse), plus rapides, se considérant sans doute comme prioritaires.

A une époque caractérisée par l’explosion des métropoles, la diversification des moyens de déplacement, le sentiment que tout presse, une attitude où le « moi d’abord » devient principe de vie, le tout suscitant diverses formes d’intolérance, la bicyclette n’est pas au bout de ses combats.

Relire Paul Virilio et ses réflexions sur les mutations de l’espace-temps est plus que d’actualité.