LE crapaud - Nicolas Jacquette - l'huile de palme le nouvel or noir

Ne me parlez plus d’huile de palme !

Il est des jeunes gens qui aiment les défis. Certains pour le dépassement de soi-même parfois très personnel, d’autres pour une juste cause et le bien du plus grand nombre. Comme Adrien Gontier. À 26 ans ce jeune Strasbourgeois chimiste, a décidé de partir en guerre, tambour battant, contre l’huile de palme.

Ouvrez son blog : « Lundi 28 mai. Une journée tout faux ! Je me rase, pas de chance, je suis attrapé par la palme dès le réveil dans le gel à raser : acide palmitique (émollient et agent émulsifiant) et glycéril stéarate (émulsifiant, dérivé possible)… Je me rattrape avec cette belle crème équitable aux sorbitane, glycéril et cétyl… Et pour me brosser les dents, je constate que mon dentifrice contient du glycérol

L’épuisante lecture des étiquettes

Ainsi, de son œil exacerbé de spécialiste, notre Adrien plonge dans la fastidieuse et parfois minimaliste lecture des étiquettes de produits divers, pour y dénicher la présence d’huile de palme. Il y faut de la patience compte tenu des quelque 40 000 à 130 000 références présentes dans un hypermarché.

Puis, au long d’une journée de tests, qu’il débute dès son lever jusqu’à son coucher, des repas aux médicaments et produits d’entretien, détaille et dénonce, mais non sans humour, photos et étiquettes reproduites sur le blog.

Une année d’enquête

Ce thésard en géochimie offre en effet l’étonnant mélange de rigueur scientifique, de pédagogie et d’humour. Dans son visage d’étudiant, le regard à lui seul traduit l’amusement plutôt que la contrainte. Et dans ses reportages il révèle un côté facétieux indéniable.

Même si son labo se limite aux murs de sa cuisine, rien ne lui échappe, le défi est lancé. Une enquête menée sur l’espace d’une année complète, en vertu d’un engagement militant au service de l’environnement.

On sait que l’industrie agro-alimentaire a jeté son dévolu depuis une dizaine d’années sur l’huile de palme. Qui, souvent cachée derrière d’innombrables dérivés, phagocyte la totalité ou presque des produits que nous consommons, pour être aujourd’hui, parce que la moins chère à produire, la première huile consommée dans le monde.

Trop d’acides gras saturés

Quand nous mangeons ces biscuits, chips, crèmes glacées, l’huile de palme est-elle nocive pour la santé ? Oui, répondent certains nutritionnistes, car elle malmène nos artères par ses 50 % de teneur en acides gras saturés. « Nous manquons de données concernant l’homme », leur répond l’Agence nationale de sécurité alimentaire.

Mais on ne s’interroge plus sur sa nocivité pour l’environnement. Les forêts tropicales d’Indonésie, de Malaisie (qui dominent avec 86 % s de la production mondiale) disparaissent les unes après les autres au profit de gigantesques plantations de palmiers à huile en culture intensive.

La chasse aux orangs-outans

Le crapaud a déjà porté son attention sur ce désastre concernant notamment des espèces protégées. Le déclin des rhinocéros ou des grands singes en est un des tristes résultats.

Ne trouvant plus dans les forêts fruits, feuilles et pousses qui constituent leur principale nourriture, ni de quoi s’y nicher sur des plateformes en hauteur, ils finissent par errer dans les plantations, où ils engloutissent jusqu’à 50 pousses de palmier.

En février dernier, des hommes de main ont été jugés à Bornéo pour avoir tué des orangs-outans, considérés comme provoquant trop de ravages, à la demande de leur employeur.

Des enjeux financiers planétaires

L’huile ne fait pas seulement l’affaire de l’agro–alimentaire, l’abattage s’est encore intensifié pour la production de biodiesel, les gouvernements cherchant à tout prix des solutions alternatives au pétrole.

Les enjeux sont de taille. C’est un « domaine dans lequel nous souhaitons nous développer », indique la patronne Margarita Louis-Dreyfus de Louis Dreyfus Commodities, l’une des 4 grandes holdings spécialisées dans les matières premières (j’achète, je spécule, je vends), également propriétaire du club l’Olympique de Marseille. Et va entrer au capital d’une société Felda, dont les usines ont raffiné en 2010 3 millions de tonnes de cette huile « miraculeuse ».

La plus forte augmentation de revenus

Rien qu’en Papouasie-Nouvelle Guinée, l’une des plus touchées par le phénomène, la production est passée entre 1972 et 2010 de 0 à 500 000 tonnes, présentant un énorme potentiel de développement, selon CDC Capital Partners, acteur majeur, anciennement programme d’aide britannique, aujourd’hui compagnie privée ! La plus forte augmentation en termes de revenus réels par rapport au cacao, copra ou café.

Les projets visent à étendre la superficie de 2 à 5 millions d’hectares, concessions attribuées sans réelle consultation des populations locales. C’est d’autant plus inquiétant que l’île, 3ème plus grande forêt primaire du monde, regroupe 6 à 8 % des espèces mondiales. 4 millions d’hectares ont disparu, selon la Banque mondiale et Greenpeace, avec un grand nombre d’activités illégales.

Des communautés désormais dépendantes

Un groupe local souligne les terres défrichées de toute végétation jusqu’aux confins des ruisseaux et rivières, sans souci de leur rôle évident dans l’écosystème, les déchets versés dans un affluent, entrainant pollution de l’eau, poissons morts et inondations, auxquelles la population locale n’était pas habituée.

Dès 1994, le WWF dénonce cette destruction de la forêt primaire et rend les exploitants responsables du sort des communautés locales désormais dépendantes d’une seule activité, vulnérable aux fluctuations du marché.

Cachotteries industrielles

Blog, conférences, articles dans les journaux, Adrien ne ménage pas sa peine. Voir surtout son Petit Guide Vert avec la liste des produits, déjà répertoriés, contenant de l’huile de palme ou ses dérivés chimiques, des conseils du genre « éviter la palme en 3 leçons » ou reconnaître les différentes appellations données aux dérivés.

Devenu expert dans le déchiffrage des étiquettes et des « cachotteries » industrielles, il ne tient pas cependant à endosser le costume de l’ayatollah, se veut simplement « lanceur d’alerte ».

Et propose aussi ses recettes maison pour échapper à cette huile omniprésente, indique comment il fabrique son propre dentifrice, son déodorant, son savon ou mitonne ses confitures. Son défi prend fin en juillet prochain.

Attention détournement

Le commerce commence à prêter l’oreille. Une chaîne de magasins de supérettes affichent dans sa publicité « stop à l’huile de palme », dit s’engager à la supprimer dans certaines de ses marques. Souvent, en lisant de plus près, l’huile bannie devient soudain « huile de palme durable », dont la définition reste assez floue.

Ce qu’on appelle volontiers « greenwashing » chez les publicitaires, en français « écoblanchiment ».