Le crapaud - Nicolas Jacquette - le cauchemar de la mine de stockage de déchets nucléaires de Asse

Le cauchemar d’Asse

Le Japon vient d’arrêter son dernier réacteur encore en activité. Fukushima a laissé des traces, qui ne s’effaceront pas de sitôt. Mais, voici qu’en plus du présent, le passé nous rappelle à l’héritage terrifiant que l’industrie nucléaire laissera à des générations et générations. A Asse, en Allemagne, les caves d’un site d’enfouissement de déchets radioactifs menacent de s’effondrer, plaçant les autorités devant des choix dantesques.

Un scénario de science-fiction

Tout est prêt au niveau – 750 pour percer le mur de béton de 17 mètres d’épaisseur, qui ferme l’entrée de la galerie, où s’entassent 4300 fûts de déchets, stockés là entre en 1977 et 1978. Foreurs, compresseurs, éclairages dans un espace cathédrale, resté plongé dans l’obscurité depuis cette date.

Le temps presse, dit-on à l’Office fédéral de protection nucléaire. Il faut percer, retirer les fûts, éventuellement re-conditionner, créer un nouveau puits d’accès pour les évacuer vers la surface, re-stocker dans un site d’entrepôt intermédiaire, enfin un jour les diriger vers un site d’enfouissement pérenne. Un scénario de science-fiction.

Sur le papier, l’extraction est possible. La paroi de béton une fois dégagée, toute la manipulation serait confiée à des norias de pelleteuses et de robots manipulés à distance.

Des fûts roulés sens dessus dessous

Au préalable, des capteurs palperont la chambre dans tous les coins et recoins, les instruments de mesure capteront les gaz qui se sont formés, tandis que les premiers faisceaux de lumière pourront livrer par les images des cameras ce qu’on va trouver dans la fosse.

L’inconnu absolu. L’on craint fort en effet qu’avec les déplacements de la colline, les fûts aient roulé dans leurs galeries sans dessus dessous, renversés, écrasés, brisés, laissant s’écouler au sol leur contenu.

Au fil des ans, depuis 1967, 126 000 fûts – en principe de faible et moyenne radioactivité – ont été descendus dans cette ancienne mine de sel, sur l’arc d’une chaîne de petites collines en Basse-Saxe.

Ils proviennent pour 2/3 des centrales nucléaires, de centres de recherche et l’on se demande même si l’on n’y a pas enfoui les rejets du développement d’une bombe atomique allemande pendant la dernière guerre.

L’Elbe et la Weser toutes proches

La première incertitude vient du terrain. Sous la pression de la surface, les assises des parois de sel manifestent des ruptures et des glissements, bougent de 10 centimètres par an. Déjà l’on relève 12 000 litres de saumure qui percent jour par jour dans la mine.

Si, par malheur, de grandes masses d’eau incontrôlées devaient y pénétrer, le sel solide se mettrait à fondre, la saumure s’infiltrant dans les galeries à plus grande profondeur. Ce qui provoquerait à terme l’écroulement de la mine, et le contact de son chargement radioactif avec la biosphère et les nappes phréatiques, sachant que 2 rivières importantes, l’Elbe et la Weser, ne passent pas loin.

Car le sel solidifié forme lui-même l’architecture de la mine, supporte à lui seul le poids du terrain situé en surplomb, les piliers et terrasses entre les niveaux d’exploitation, parfois de quelques mètres d’épaisseur seulement, subissent des contraintes, se déforment, le sel sous tension perd de sa cohésion.

Et même des cadavres d’animaux

La deuxième incertitude vient de l’état des fûts et de leur contenu. Stockage des fûts métalliques, habituellement considérés uniquement à l’usage du transport, leur corrosion dans un milieu salin peut durer de quelques années à des décennies. Certains sont déjà endommagés lors du transport dans la chambre 12, après être tombés d’un chariot élévateur.

On stocke aussi 14 000 fûts en béton, dont on sait qu’ils ne résistent pas à l’attaque du sel. Encore qu’on ignore parfois l’origine exact et le contenu de certaines livraisons. Une chambre contiendrait à elle seule 28 kilos de plutonium, de l’arsenic, du plomb, des pesticides et même des cadavres d’animaux.

Les études sur la possibilité d’un confinement définitif de déchets commencent en 1995. Acquise par le gouvernement fédéral en 1965, le problème des entrées d’eau est connu. Cependant le site est considéré comme sec et approprié. Et l’on néglige de précédentes études sur le manque de stabilité.

Devant les mouvements continuels de la montagne, pour contourner le problème, 4 essais sont réalisés entre – 800 et – 975 mètres, dans des couches vierges, mais les expériences, auxquelles la France participe, uniques en leur genre, sont brutalement arrêtées.

Récupération pour une sécurité à long terme

Le comblement et le confinement sont désormais considérés comme incontournable, la mine et ce qu’elle contient sera ennoyée avec du béton au magnésium. Option problématique cependant, devant la menace qu’une partie de l’inventaire nucléaire se dissolve et diffuse à travers les espaces poreux.

Le temps presse cependant. Entre le démantèlement, un déplacement dans des couches encore plus profondes, le Ministre de l’Environnement maintient le choix de la récupération pour garantir une sécurité à long terme, d’ailleurs exigée par la loi.

Mais au Bureau de la protection nucléaire lui-même des doutes se font jour sur le méga projet. Obtenir l’ensemble des autorisations pour creuser un nouveau puits vertical d’accès et sortie des colis contaminés pourrait reporter la suite des travaux à 2020.

Entre autres la construction ex-abrupto d’un site de stockage intermédiaire à l’air libre, sur un terrain de 400 à 630 mètres, protégé par des murs de 15 mètres de haut, pour entreposer, requalifier et traiter 400 000 m3 de déchets.

Un nom qui déclenche l’inquiétude

Selon les pronostics les plus pessimistes, l’exhumation pourrait prendre de 40 à 50 ans, tandis que la charpente de la mine continue à se perforer comme un morceau de gruyère.

Nombre d’experts s’attendent à des difficultés extrêmes dans la solution de la sortie avec un premier coût évalué à 2,3 milliards d’€, plaident pour son abandon, sans parler de la population riveraine qui s’inquiète déjà. Le seul nom de Asse déclenche alentour de tels réflexes de protestation, que la bataille de la communication, si le projet devait être décidé, sera dure à gagner.

Selon le magazine Stern, Asse serait le plus gros problème de protection contre les déchets en Europe. Il illustre hélas la somme de négligences grossières, administratives, techniques, voire politiques, dans sa gestion, tout au long de l’histoire, confrontant aujourd’hui les autorités de tutelle à des choix en effet cauchemardesques.