Le crapaud - Nicolas Jacquette - les hérissons parisiens décimés par la SNCF

A Paris, les hérissons prennent le maquis

Y en a-t-il encore des hérissons en ville ? Oui, et même à Paris intra-muros. Animaux nocturnes, réfugiés dans les fourrés, ils sont discrets. Une marque automobile étrangère les met en scène dans une publicité récente. Cela ne servira pas forcément leur cause. Mais, espèce protégée, ils ont leurs défenseurs. Qui ne baissent pas les bras.

A perte de vue, sur les rails luisants, de hauts lampadaires jettent des lueurs blafardes. Début avril, entre gare du Nord et porte de la Chapelle, nous hantons de nuit un des plus sinistres quartiers de Paris. Il pleut, il vente sur ce parking désaffecté de la SNCF, où une association de « jardins partagés » a installé ses plantations.

Disparition des habitats

C’est là que Geneviève Renson, photographe naturaliste, vient épier chaque soir les hérissons qui comptent parmi les derniers de la capitale. Car l’espèce y est très menacée par la disparition de ses habitats. Elle découvre cette « colonie » à la fin de l’été 2009, en s’occupant des chats errants, qui hantaient un long talus ferroviaire embroussaillé.

Sous ce maquis de ronciers, elle commence par trouver trois chatons morts, « gazés par un épandage de produits toxiques » d’agents d’entretien. Écologistes, jardiniers et autres riverains protestent, alertent les autorités de la SNCF et RFF (Réseau Ferré de France), ainsi que les élus. RFF n’a-il pas signé deux mois plus tôt une « charte environnementale » interdisant ces procédés ?

Dont acte : les cheminots promettent depuis peu de ne plus répandre de pesticides mortels. Quant aux félins survivants, Geneviève Renson s’est attachée à les nourrir, puis à les attraper pour les faire stériliser avec l’aide de l’association l’Ecole du Chat. C’est en les nourrissant qu’elle a la surprise de voir sortir des fourrés d’autres mammifères.

Insectivores, bardés de 5 000 à 10 000 épines, ils se mettaient en boule à son approche. Peu à peu rassurés, puis alléchés par les pâtées et croquettes, qu’elle leur offre, ils s’ attablent avec les chats.

Barbelés armés de lames

Son combat ne fait que commencer. Car les cheminots, soucieux d’arrêter toutes les intrusions humaines sur ce site sensible, entreprennent de doubler la clôture en posant derrière l’ancienne un second grillage, plus serré, plus hermétique. Enfin, entre les deux, à terre et en hauteur, ils déploient des rouleaux de « concertinas », ces terribles barbelés armés de lames tranchantes conçus pour les ouvrages militaires…

Par bonheur, la colonie survit : çà et là, dans le noir, on entend encore des hérissons farfouiller dans les feuilles mortes, reniflant bruyamment. ET se nourrir de lombrics, escargots et limaces, qui émergent sous la pluie.

En chuchotant, mon guide me montre les brèches à hérissons dans la clôture. Elle a réussi à les faire ouvrir par les cheminots après des rafales de courriers : courriels et lettres recommandées. Elle a aussi alerté maintes associations, dont l’ASPAS (Association pour la protection des animaux sauvages) et le Sanctuaire des Hérissons . Ainsi, la colonie de La Chapelle ne se sent plus si seule à Paris.

Des ruts impérieux

Certains soirs de printemps, à son grand plaisir, on peut rencontrer un mâle et une femelle cheminant côte à côte. Après quatre mois d’hibernation, le rut est une pulsion aussi impérieuse que la faim. « Ils soufflent, ronflent, halètent… Lui, fait mine de l’attaquer, et elle de se dérober… »

Vers l’ouest, sur la butte, les projecteurs de la ville embrasent les coupoles du Sacré-Cœur. Et là-bas, près du Périphérique Nord, se prépare un énorme programme immobilier : Chapelle International, avec le groupe logistique Sogaris… Sur quelque 6,3 hectares de friches industrielles et ferroviaires, il s’agit de construire, dès l’an prochain, près de mille logements, ainsi que d’immenses immeubles de bureaux, des équipements publics et des locaux de transports liés au réseau ferré.

En combinant l’emploi et le logement social, la ville promet de créer des économies d’énergie et… des espaces naturels . « Naturels, vraiment ? » Entre les tours, sur la dalle couvrant la « halle de fret », fleuriront de nouveaux « jardins partagés », hélas cernés de béton. Par la suite, une « esplanade de verdure » couvrira le périphérique pour unir à Paris 18ème les villes du 93 : Saint-Denis et Aubervilliers.

Ce vaste projet inquiète particulièrement Geneviève Renson : « On prévoit une coulée verte du Nord au Sud du nouveau quartier ! C’est bien, mais en la concevant, a-t-on pensé aux hérissons? Il faudrait, qu’elle soit aménagée aussi pour eux, et pas seulement pour les chiens, poussettes et vélos ! » Pourquoi pas une haie avec un fossé, des ronces ou autres plantes sauvages ?

Les malchanceux de la 2ème portée

En attendant, à l’abri des épines, les érinacéinés coulent des jours plus tranquilles. Dans l’entrelacs infranchissable des végétaux, ils trouvent des insectes et mollusques à foison. Ils font aussi des incursions dans les « jardins partagés » où ils sont les défenseurs des carottes et salades.

Cependant, parmi eux, on trouve chaque année des malchanceux : nés en septembre de la deuxième portée annuelle, ils sont parfois, aux premiers froids trop petits et trop maigres, pour entrer en hibernation.

Car c’est en brûlant leur graisse, faute de proies, qu’ils peuvent passer l’hiver sans manger. Alors, au lieu de dormir sous un tas de bois ou de feuilles mortes, ces affamés persistent à se nourrir. Vers la mi-novembre, Geneviève a rencontré un pauvre hère qui tentait encore en vain de téter sa mère.

Les heures passent, et les hérissons, peut-être inquiets de ma présence, ne se montrent toujours pas. Durant ce mois de mars si aride pendant des semaines, la sécheresse du sol les a privés de mollusques, limaces ou vers de terre.

Du faisceau de sa torche, Geneviève fouille une des cabanes de l’Ecole du Chat. Là, un gros pique-assiette se goinfre dans la gamelle des greffiers. Prudent, il est arrivé à notre insu en longeant un mur bordé de broussailles. L’autre soir, un autre s’empiffrait, pas gêné, au côté d’un gros matou qui affectait de ne pas le voir.

La SNCF s’engage

Les édiles, eux, ne peuvent plus ignorer cette colonie d’irréductibles, dont l’influence électorale n’est peut-être plus négligeable. Propriétaire des terrains concernés : la SNCF, après des mois d’atermoiements faisait déclarer par un chargé de com, qu’elle avait pris « l’engagement ferme de relever les barbelés tranchants pour que les bêtes passent dessous sans danger. » « Ces hérissons sont une chance. Il faut même y aller encore plus franchement, et valoriser cette biodiversité”.

Quant au futur ensemble de Chapelle International , Daniel Vaillant, maire du 18ème, assure, d’ores et déjà, qu’une étude d’impact est en cours, qui précisera l’état de la biodiversité sur le site. Le projet, précise l’élu, tiendra bien sûr compte de la présence des espèces à protéger.»

Maurice Soutif pour le « crapaud.fr »

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