Ces déchets industriels qui déferlent sur notre planète

Expédier comme lettre à la poste ses déchets industriels dans le tiers-monde pour s’en débarrasser, éventuellement les recycler, est devenu monnaie courante. Une certaine régulation est intervenue grâce à la Convention de Bâle. Mais les abus se poursuivent.

L’alerte a été donnée par un échantillon de terre prélevé dans une école mexicaine, à peu de kilomètres d’une usine de recyclage, il présentait un taux de plomb 5 fois supérieur à la limite autorisée aux Etats Unis.

Plusieurs camions chargés de 20 millions de téléphones portables et de batteries pour voitures usagées avaient passé la frontière du Mexique pour retraitement dans des usines locales, dont la plupart n’étaient pas autorisées à exercer cette activité. Certains ont été arrêtés, le Mexique fait du renforcement de ce commerce une priorité mais manque de moyens humains et financiers.

Les industriels américains, soumis à une réglementation plus contraignante, profitent de la carence. D’autres dénoncent ces expédients et pour cause. On sait les dangers des effets du plomb sur les enfants en premier lieu, mais aussi sur les adultes et les femmes notamment, qui peuvent être sujet à des lésions cérébrales, troubles rénaux ou des problèmes durant la grossesse.

Le directeur d’un groupe US luttant pour la réduction de l’exposition des populations au plomb enfonce le clou : « Exporter, oui, mais vers des pays où les normes sont aussi strictes que les nôtres, or le Mexique n’en fait pas partie ».

Outre – Atlantique, une grande partie des déchets, notamment électroniques, provenant des ordinateurs, finissent dans les décharges, parfois incinérés. Le reste bien souvent – dans cet égoïsme propre à l’occident, est envoyé dans les pays pauvres, Inde, Malaisie, Afrique, pour une récupération sauvage et problématique, dont se soucie la Convention de Bâle.

La Convention a pour objet de protéger la santé humaine et l’environnement contre les effets néfastes des productions, gestions, éliminations et mouvements transfrontaliers des déchets dangereux. Premiers concernés, les Etats-Unis ne l’on pas ratifiée, organisant des accords régionaux avec le Mexique ou le Canada, comme ils n’avaient pas signé Kyoto.

A la récente Conférence de Bali, réunissant des membres de cette Convention, les délégués ont frémi à l’avalanche de pronostics qui leur tombaient dessus. Les déchets d’ordinateurs pourraient croître de 200 à 400 % d’ici à 2020. Pour les seuls téléphones portables, de 600 % en Chine et de 1700 % en Inde sur la même période (on note un plus grand nombre de portables dans ce vaste pays que de toilettes individuelles ou publiques).

Le crapaud - Nicolas Jacquette - Ces déchets industriels qui déferlent sur notre planète

Certes, on peut comprendre la consommation effrénée des nations émergentes, aucune raison que les Chinois ou les Indiens, si efficaces en matière de business, ne s’équipent pas comme les Occidentaux l’ont fait. Mais elle risque aussi de les submerger, car la Chine précisément est aussi le principal pays récupérateur. Dans des conditions inadmissibles souvent : On y brûle les cartes électroniques sans aucune précaution et les fumées, que l’on respire, se chargent en métaux lourds et dioxines.

Le risque et les dangers valent la chandelle. Une tonne de vieux appareils, après retraitement, va exhumer 3,5 kg d’argent, 130 kg de cuivre, 450 grammes d’or. Certes, à l’échelle d’un seul appareil, cela se mesure en milligrammes, ce qui explique entre autres le recours à une main d’œuvre abondante et peu en situation de se soucier des conséquences éventuelles sur sa santé, comme le souligne Denis Delbecq.

De l’électronique à l’électroménager, sans oublier les jouets, 40 millions de tonnes d’ »E Waste » sont générés chaque année. 3 millions de tonnes pour les Etats Unis à eux seuls, l’Empire du milieu vient derrière en 2ème position. Ces « e déchets » contiennent jusqu’à soixante variétés de substances dangereuses physiques ou chimiques. La Chine les accueille prétendument comme destinés à la revente sur le marché de l’occasion, ce qui permet de contourner la fameuse Convention de Bâle.

Les pays fortement industrialisés ont compris entre temps que, vu la demande mondiale exponentielle, remettre la main sur ces métaux de valeur devient une entreprise rentable. D’autant plus que si l’on a à l’esprit la raréfaction à terme des sources pétrolifères, celle des métaux constitue aussi un enjeu majeur du XXI ème siècle. Analyste environnemental de renommée mondiale, Philippe Bihouix considère qu’on en fait un usage aberrant

Selon ses indications, il resterait 10 à 20 ans de réserve pour l’antimoine, l’indium ou l’argent, entre 20 et 60 ans pour la plupart des grands métaux industriels ( zinc, cuivre , nickel, plomb, etc) et plus d’un siècle pour une partie des terres rares, cobalt et platine. Avec l’arrivée des émergents dans le marché de la consommation moderne, il se pourrait qu’en l’espace d’une génération on extraie plus de métaux que dans toute l’histoire de l’humanité ( seule la production de l’or n’augmente plus ).

A l’image des énergies fossiles , dont on trouve certes constamment de nouveaux gisements, leur extraction est de plus en plus onéreuse. Le jour où la moitié des réserves de métaux sera atteinte, leur accès sera de plus en plus difficile. De moins en moins concentrés, il faudra aussi accroître l’effort pour les extraire, donc dépenser plus d’énergie. Chercher dans des lieux moins explorés ou exploités jusqu’à présent, voire dans les forêts primaires, les pôles, les océans, plus profondément encore dans la croûte terrestre.

Un super champ de pétrole découvert au large du Brésil, présenté comme une découverte capitale, ne représenterait en fait que 200 jours de consommation. A l’inverse, quand au XVII ème siècle, la forêt française s’est trouvée déboisée par l’utilisation intensive du bois (3000 chênes centenaires pour fabriquer un navire de guerre), les surfaces ont été replantées, elles sont encore là aujourd’hui. On raisonnait alors dans un espace temps équivalent au moins au siècle, aujourd’hui dans celui au mieux de 1 ou 2 générations.

Pour Philippe Bihouix, recyclage et récupération, avec leurs difficultés notamment pour la séparation des métaux, leurs coûts et leurs dangers collatéraux, ne seront jamais suffisants pour assurer la relève. Soit on poursuit notre folle course en avant, soit l’on s‘attelle à limiter le gâchis. Croire que le gâteau des ressources peut croître à l’infini est une escroquerie. Le stock est fini.

La guerre des énergies n’est déjà plus pour demain.

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La Chine semble avoir décidé de restreindre l’exportation de ses terres rares (95 % de la production mondiale), semble-t-il, afin de préserver l’environnement face à l’expansion minière qu’elle nécessite (Les terres rares sont indispensable à la production de tout matériel informatique). Etats Unis, Japon et l’Union européenne ont introduit un recours auprès de l’OMC. On soupçonne la Chine de vouloir exercer une pression à la hausse des prix.

Mais les Amis de la Terre ont aussitôt dénoncé cette forme d’hypocrisie des pays développés, qui souhaitent une augmentation de la production chinoise de terres rares, alors qu’ils devraient freiner la demande, en encadrant l‘“industrie des hautes technologies”. D’ailleurs, ils préfèrent voir cette production se poursuivre loin de chez eux, sachant qu’elle cause “des dégâts environnementaux considérables et exige des conditions de travail très pénibles”. 17//3/12