Ce que cachent 7 milliards d’humains

La nouvelle était attendue, 7 milliards d’humains au 31 octobre (dernier).Douze ans plus tôt, les Nations Unies s’étaient risquées à désigner comme l’heureux 6 milliardième de nos congénères un bébé, né à Sarajevo, débarquant dans notre monde surpeuplé et passablement chaotique. Cette fois, elles s’en sont abstenues. Deux régions, le Kamtchatka et Kaliningrad, se sont engouffrées dans la brèche, en revendiquant au grand plaisir de la presse locale, aux relents toujours nationalistes, que le 7 milliardième être humain, né sur leur territoire, était donc russe.

Seuil symbolique. L’évolution exacte, jour par jour, de la population mondiale est une réalité très approximative (rien à voir avec la fameuse horloge de Wall Street qui, à la seconde et au dollar près, affiche la grimpette vertigineuse et sans essoufflement de la dette américaine). Certes, on recense depuis l’antiquité pour faciliter la levée des impôts, on s’en douterait, et recruter des armées. Mais en dépit des outils informatiques modernes, les recensements sont des opérations complexes. Et exigent en Inde comme en Chine des légions d’agents enquêteurs, 2 millions pour le premier, 6 pour le second.

Et encore, où aller dénicher et répertorier les minorités marginalisées, les personnes vivant dans l’illégalité et notamment les migrants – les mouvements migratoires nord-sud sont passés de 150 à 214 millions de personnes en dix années. Les autorités chinoises elles-mêmes considèrent une marge d’erreur de 2%, soit à l’échelle du pays 27 millions d’absents dans les comptes (Pékin a opéré l’an dernier le plus grand comptage jamais réalisé dans ce pays).

Bien souvent ces campagnes, aujourd’hui outil indispensable pour gérer un pays, incidemment la planète dans les choix à venir, sont hors de portée de pays dépourvus de moyens financiers et organisationnels. Spécialisée dans l’enfance, une Ong annonce que jusqu’à deux-tiers des naissances ne sont pas enregistrées dans certains pays d’Afrique, 16% de déclarations à l’état civil seulement au Liberia, 32 au Niger. Dans ces régions la population double tous les 20 ans et, faute de chiffres et de projections, l’on traîne à ouvrir les incontournables logements, écoles, hôpitaux. De plus comment recenser avec exactitude les quelque 100 000 personnes qui vivent, les unes par-dessus les autres, dans certains bidonvilles comme celui de Lagos, capitale du Nigeria ?

Ancienne colonie britannique, et toujours membre du Commonwealth, le Nigeria précisément se profile comme le futur géant africain. Pour un territoire à peine plus grand que deux fois la France, on lui prédit une possible explosion à plus de 400 millions d’habitants dans une quarantaine d’années, ce qui le mettrait au troisième rang des pays les plus peuplés du monde, de quoi donner le vertige.

Exemple d’un pays n’ayant pas maîtrisé sa démographie et conséquemment son développement, ce Nigeria, confronté à 450 langues, 4 ethnies différentes dont 250 sous-ethnies, dispose de ressources naturelles abondantes, pétrole, gaz et minéraux solides, de terres fertiles aussi, mais voit son économie en chute libre depuis 20 ans. Pauvreté et chômage endémiques, services de santé et d’éducation dégradés.

En partie héritage du passé colonial, les génocides ont marqué son histoire. Et de permanents conflits ethnico-religieux entre le nord à majorité musulmane et le sud chrétien, plus éduqué du fait de l’influence des missions religieuses. Rien qu’en juin dernier de sanglants affrontements ont fait 150 morts. Les voyageurs touristes sont d’ailleurs appelés à se montrer très vigilants, y compris dans la fréquentation des lieux publics, taux de criminalité et risque d’enlèvements élevés.

Signe de notre époque, l’afflux vers les villes mégalopoles n’est pas prêt de s’arrêter. Elles étaient 3 de plus de 10 millions d’habitants, Tokyo, New York, Mexico, elles sont 21 aujourd’hui, la plupart situées dans les pays en voie de développement. Et à leur périphérie, les bidonvilles agglutinent à elles seules 1 milliard de personnes, probablement 1,4 milliard en 2020.

Ce que cache encore le choc des 7 milliards, c’est la vitesse à laquelle le monde vieillit aujourd’hui. Le jour où la Chine recensera des dizaines de millions de centenaires, un seul actif aura la charge de six personnes, 4 grands parents et 2 parents, voguant tous vers des âges de plus en plus respectables et un seul enfant ! Mais on réfléchit à assouplir le régime de l’enfant unique, la proportion de personnes âgées croissant trop vite. Ailleurs, on fait appel à l’immigration étrangère pour pallier le manque de main d’œuvre.

A l’image du Nigeria, rien ne semble devoir arrêter la croissance exponentielle du continent africain avant plusieurs décennies. Avec le plus fort taux de la planète, elle pourrait exploser à 2 milliards d’habitants d’ici à 2050, 2,5 fois plus qu’au début du XXIème siècle. Mais le moteur fou sait aussi se calmer. Dès qu’un pays parvient à un régime de natalité et mortalité faibles – moins d’enfants, plus de développement, la transition démographique est en place.

Ainsi le taux de fécondité en Afrique subsaharienne, pays du Maghreb, est tombé aux alentours de 2%, juste de quoi assurer la relève. Cette baisse sensible de la natalité participe de façon plus frappante au déclin démographique de pays industrialisés, pour certains proches de nous. Avec 0,48% de taux de fécondité, auquel s’ajoute une surmortalité masculine causée notamment par l’alcool, la Russie a perdu 7 millions d’habitants en moins de 20 ans. La population du Japon va baisser de 25% d’ici 40 ans du fait d’un taux de natalité à 1, 39 %, chute qui obère son dynamisme et sa compétitivité notamment face à l’ogre chinois. L’Allemagne a de quoi s’inquiéter avec un taux équivalent de 1,39%.

Les scénarios du futur divergent. Entre les 3 milliards d’habitants en 1960 et les 7 milliards d’aujourd’hui, il s’est passé 50 ans. La bombe humaine est à l’œuvre. Si nous devions doubler tous les 50 ans, on atteindrait 24 milliards d’humains à l’horizon 2100. Impensable. Les Nations unies veulent rassurer, la transition serait achevée dans toutes les régions du monde à cette date, elles misent sur 10 milliards. Partout l’on aura adopté un modèle familial similaire, 2 enfants, habitat en ville, voiture bannie au profit des transports publics, télévision et informatique régissant tout, peut-être de temps à autre des vacances à la mer, si l’on osera encore s’y tremper… De quoi se réjouir ? La question est posée.

(Travail remarquable de la Fondation , avec son prophétique “7 milliards d’Autres”, soit des équipes de tournage partant interviewer 6000 anonymes dans le monde entier pour dresser un portrait sensible de l’humanité aujourd’hui, leurs peurs, leurs joies, les relations avec les autres).