Le crapaud - Nicolas Jacquette - Quand les abeilles bourdonnent sur mon balcon

Quand les abeilles bourdonnent sur mon balcon.

Colonies d’abeilles décimées, vols de ruches à répétitions, apiculteurs affolés… Einstein aurait prédit la fin de l’humanité en 4 ans si l’abeille venait à disparaître. Mais l’histoire ne dit jamais son dernier mot. Voici que l’abeille voit un nouvel avenir dans nos… villes et bourgades, toutes proportions gardées.

En costume jaune rayé de noir, trimballant à bout de bras quelques cinquante ruches, ils ont débarqué d’une péniche avec force sifflets, face au Jardin des Plantes, à l’est de Paris. Foule bigarrée d’apiculteurs bon enfant, venus de Bretagne ou du Sud Ouest, pour déposer leurs ruches dans les plates bandes du célèbre jardin, manière pour eux de demander une forme d’« asile écologique ». « Les abeilles ont besoin de plantes mellifères, pas mortifères, ont-ils lancé devant les promeneurs surpris en cette matinée ensoleillée. Après 15 années de combat contre les pesticides, on n’est plus à quelques centaines de kilomètres près pour nous faire entendre ». Ils entendaient dénoncer notamment la récente mise sur le marché par le Ministère de l’Agriculture, pourtant annulée précédemment, du pesticide « Cruiser », utilisé dans le traitement des semences du colza, qui contamine le pollen et aggrave la mortalité des insectes.

Certes, ces militants pourraient se réjouir d’une récente condamnation au tribunal correctionnel de Coutances (Manche). Un arboriculteur y était cité pour avoir pulvérisé un insecticide à base de carbaryl sur ses pommiers à cidre, encore en fleurs, ce qui avait contribué à décimer une vingtaine de ruches, se trouvant à 500 m du verger. 1 000 € d’amende avec sursis au pénal, une audience au civil suit. Mais l’on voit mal les gros céréaliers, contraints à l’usage de pesticides dévastateurs, s’inquiéter d’ennui judiciaire de ce genre.

Confrontés à la menace chimique, les apiculteurs ont d’autres raisons de s’emporter en raison de la multiplication des vols de ruches dans certains départements, notamment les Hautes Pyrénées. « La mortalité des abeilles a cru de 10 à 30 %, due aux épandages et aux maladies qui circulent du fait de la mondialisation. Si bien qu’il est de plus en plus difficile d’avoir des ruches bien peuplées, note le président du syndicat, et cette raréfaction excite les convoitises ». D’amateurs apiculteurs peu scrupuleux, suffisamment au fait pour voler les plus belles ruches, voire de vraies filières à destination du Portugal, avec une production locale anéantie par les grands incendies de forêts de 2005, ou des pays de l’est. Révolté, un apiculteur a décidé d’équiper son rucher de 1000 ruches de système GPS avec alerte par SMS !

« On est venu à Paris symboliquement, mais on ne vas pas s’installer dans les villes avec 1,3 millions d’abeilles », déclarait un militant du Jardin des Plantes.

Pourtant, la gent hyménoptère ne cesse de prendre son essor dans le tissu urbain. Ce dont elles pourraient remercier un certain Frère Adam. Chargé de la miellerie à l’Abbaye bénédictine de Buckfastleigh, sud de l’Angleterre, ce frère (né en Allemagne, de son nom de naissance Karl Kehrle, mort à 97 ans) n’avait cessé de croiser, avec succès, plusieurs variétés, importées de partout, pour obtenir une abeille « idéale » butineuse, propre et surtout peu agressive. Les témoins racontent qu’il avait une relation exceptionnelle avec elles, leur parlait, les touchait et les animaux semblaient lui répondre. La « Buckfast » est aujourd’hui la plus répandue dans le monde, appréciée notamment pour cette sorte de « coexistence conviviale » avec l’humain.

D’où ce destin inattendu d’abeilles, qui investissent avec bonheur la ville sans effrayer ses habitants. Elles bourdonnent sur les toits de L’Opéra à Paris et à Lille, du Grand Palais, du Théâtre du Merlan à Marseille, d’autres bâtiments publics, voire de grandes entreprises, elles colonisent même les pistes de Roissy. Avec des rendements deux fois supérieurs à celles des campagnes. « 50 à 80 kg de miel/an pour une ruche de 40.000 individus », constate un apiculteur de ville. Alors que nos vertes campagnes sont trop souvent vouées à la monoculture, aggravée de déversements chimiques, on retrouve dans les miels urbains, ce « miel béton », les vraies saveurs de fleurs et d’arbres, certains primés dans les comices. Bien souvent, parcs et jardins urbains, riches en diversité végétale et moins traités, leur offrent un havre plus sain. Pour les jardiniers municipaux, la santé du rucher est de plus un bon marqueur écologique.

On leur découvre même des vertus dans les maisons de repos. Responsable des espaces verts de l’EPSM Lille –Métropole (Etablissement public de santé mentale), Bertrand a installé dans les jardins 3 ruches, modestement pour débuter. « On a réduit les désherbants de 37%, on s’est dit que les abeilles pouvaient participer à cette action de développement durable ». Les malades, adultes comme enfants, sont séduits. « C’est vivant , ça bouge, ils n’ont pas peur ». Et peuvent, s’ils le préfèrent, revêtir des scaphandres appropriés.

L’engouement se manifeste dans tous milieux. Sensibilisés par la catastrophe apicole, le nombre de particuliers, outre-Rhin, tous âges et origines sociales, qui élèvent des abeilles chez eux, sur les balcons ou les toits de leur immeuble, dans les jardins, les enclos ouvriers, les parcours de golfs, voire les cimetières, croit sans cesse. A Berlin seul, l’on compte déjà 800 apiculteurs du dimanche. Aidés par la mise à disposition d’une ruche simplifiée moins encombrante, ils apprécient dans cette activité des moments de grande détente, l’impression de répondre à une urgence environnementale et le plaisir de goûter à leur propre miel.

Ce qui explique le succès des cours dispensés depuis cette année par le Président de l’association du rucher école départemental de Magnerolle, à la maison neuve du Soudan ( Deux Sèvres), Jean-Pierre Vieillard, des cours, gratuits, ouverts à tous, visant à enseigner et sensibiliser aux problèmes de l’apiculture (de mars à septembre). Vingt participants dès le premier cours, le plus jeune âgé de 13 ans. Entretien de la ruche, soins à donner aux essaims, élevage des reines, anatomie et maladies de l’abeille, lutte contre le frelon asiatique, ce dangereux prédateur. La plupart sont repartis avec une ruche peuplée (180 €) dans les bras.

Les infatigables butineuses montent au front également dans l‘aide aux pays émergents. Même ceux défavorisés par le climat disposent de ressources mellifères, certes plus ou moins abondantes, alors que leur pratique apicole demeure très rudimentaire en termes de quantité, qualité et d’exploitations des produits de la ruche. Il s’agit donc d’aider les locaux à cueillir les essaims sauvages existant dans les arbres, les enfumer ou détruire, puis à pratiquer l’élevage dans de vraies ruches, souvent en coopératives. Soutenues par Apiflordev, des actions sont en cours au Mali, Bénin, Burkina Faso, Haïti, bientôt en Ethiopie par les soins de l’organisation Caritas.

En Afghanistan, la France, de son côté, a entrepris dès 2005 un programme ambitieux pour la création de 10 000 emplois autour de 1 million de ruches (elle a ouvert du reste un bureau d’apiculture au sein du ministère de l’agriculture afghan). Et, dans la province du Helmand, les Etats Unis encadrent fortement la paysannerie pour l’amener à abandonner la culture du pavot au profit de l’élevage apicole.