Le secret de la grive en vol

Saluons la curiosité des scientifiques. Elle concerne cette fois les grives de Swainson, ou grive à dos olive (Catharus ustulatus). Ces oiseaux migrateurs, pour certains, passent l’hiver en Amérique centrale et du sud. Le printemps arrivant, elles se mettent en route pour le nord canadien, soit des dizaines de milliers de kilomètres à parcourir à 45 km/h, à raison fréquemment de 300 km par jour sans escale. On imagine l’effort pour un volatile qui pèse entre 23 et 45 gr au mieux.

Un long périple, au cours duquel elles témoignent d’une endurance, qui ferait rêver des athlètes de haut niveau. Où cherchent-elles l’énergie nécessaire ? Ça on le sait : en brûlant une partie de la graisse de leur corps. A l’heure du départ, elles mangent plus que de coutume : insectes, fourmis, abeilles mouches, vers, etc. Et parviennent ainsi à doubler le volume de leur corps. Mais brûler la graisse ne donne pas forcément de l’eau. Comme pour tout effort, qu’il s’agisse d’un animal ou d’un être humain, déshydratation égal danger.

Les oiseaux ne transpirent pas, ils perdent de leur masse liquide en respirant – 5 respirations par seconde en l’occurrence. Plus le vol d’une seule traite dure, plus la perte d’eau est conséquente, particulièrement par temps sec. Alors comment font-ils ? Des études de terrain donnent peut-être la solution. On a observé qu’entre deux vols migratoires et après passage au scanner, ces passereaux musiciens, baptisés du nom d’un ornithologue anglais, ont perdu du poids, voire que leurs organes ont réduit de taille, notamment leurs muscles. Brûler le tissu des muscles donne 5 fois plus d’eau que consommer des résidus graisseux.

L’hypothèse fait sens. Elle a été testée à l’Université d’Ontario-ouest, et exposée dans le grand journal Science. L’une des mieux équipées au monde dans la recherche ornithologique, cette université s’est équipée voici un an d’une soufflerie d’1,5 million de $ (pour un diamètre d’un mètre et demi), afin d’explorer les mystères des migrations aviaires, en disposant des paramètres qui conditionne le vrai vol, tels que température, humidité, pression atmosphérique.

Encore fallait-il trouver les bons « partenaires ». Une première tentative avec des étourneaux a fonctionné mais le tunnel n’était pas achevé. Par la suite, il a fallu 5 mois de patients efforts avec des rouge-gorge, dressés, pour trouver 5 oiseaux disposés à prendre l’air dans le souffle du vent artificiel. Les grives, elles, ont coopéré plus facilement et confirmé la constatation.

Mais à devoir maltraiter ses muscles, ne vaudrait-il pas mieux se poser à terre et boire à une source quelconque ? Non, car cette solution leur permet de choisir le meilleur itinéraire migratoire sans la nécessité de s’arrêter. Et de profiter, sans perte de temps, de vents favorables. Signalons du reste qu’on repère leur trace, y compris en France, quand, à l’aube ou la nuit, se reposant à terre, elles émettent un « queep » très doux, qui porte loin, considéré souvent comme un chant magnifique. De nombreux amateurs guettent l’espèce avec passion.

Reste à savoir si ce « tu donnes du muscle, je donne de l’eau » peut s’appliquer à des oiseaux de plus fort tonnage, tels que les oies sauvages ? On suppose que les recherches continuent. Tout se joue sans doute sur durée et environnement du vol (source National Public Radio US).