Yemen : l’eau du khat

Un tiers de l’humanité connaît une situation de « stress  hydrique », avec moins de 1 700 m3 d’eau douce par habitant et par an. L’on s’étonne alors, que les Yéménites galvaudent gaillardement leurs ressources en eau pour céder quotidiennement aux langueurs du khat.

Le Khat et le Yemen , un mariage aussi prégnant que le vin a pu l’être à une époque pour la population française.

Qui n’a pas vu ces images de Yéménites, mâchonnant à longueur de journée des feuilles de khat. Une fois agglomérées sous forme de boule dans la bouche, la masse roule d’une joue à l’autre, à longueur d’heure.

Enfants aussi

On s’y met généralement au début de l’après-midi, quand la sieste offre l’échappatoire ombragée nécessaire et jusque tard dans la nuit. Femmes et enfants n’en dédaignent pas l’usage non plus.

Le khat, arbuste de la famille des célastracées, vient d’Éthiopie mais gagne surtout la Corne de l’Afrique, le Yemen particulièrement. Le nom ( khat, quat ou kat ) désigne aussi la substance psychotrope, présente dans les feuilles et son effet stimulant, euphorisant.

Troubles divers

Bref, le Yemen « broute » , selon le terme consacré, et d’une certaine manière se dope. Peut-être à l’image du coca en Amérique du sud. Si ce n’est que le khat brunit les dents et verdit la langue.

S’il atténue fatigue et faim, dispense une agréable odeur aromatique, il induit forcément, à longueur de prise, une accoutumance, voire une forme de toxicomanie, provoquant de nombreux troubles du sommeil, de l’appareil digestif, du cœur, voire sexuels, et des délires ( ce que les pratiquants dénient).

Et dans l’argent du ménage, il grève jusqu’à 30 % du budget.

60 %

L’addiction forcément se paie. « La culture du khat absorbe 60 % des ressources hydriques nationales», précise un expert, alors que le pays est déjà l’un des plus arides du monde. Et la consommation ne fait que s’étendre.

Son exploitation est passée en surface de 10 000 dans les années 70 à 167 600 hectares en 2012, soit 12 % des terres arables, qui sont loin de couvrir le pays.

4 récoltes/an

Déjà que les 23 millions de Yéménites ne sont pas gâtés en matière d’approvisionnement en eau, avec 120 m3 par habitant et par an, soit seulement 2% de la quantité moyenne mondiale.

Dans les plantations des vallées verdoyantes, autour de la capitale Sanaa, l’eau coule à flot pour irriguer les rangées d’arbustes, ressemblant à des ficus. La cueillette, sous forme de bouquet, se pratique toute l’année et rapporte 4 fois plus que tout autre culture.

Puits sauvages

Alors on éponge sans vergogne les nappes phréatiques, fréquemment au moyen de puits creusés sans autorisation, 4000, a-t-on relevé. Il faut forer « jusqu’à 1000, 1500 mètres de profondeur ».

Dans la capitale, on surveille le robinet, car l’eau ne coule que 2 fois par semaine, pour les foyers raccordés au réseau.

Les autres habitants doivent l’acheter dans des stations de pompage aux environs, si bien que la quête de l’eau est une préoccupation quotidienne.

Arabie heureuse

On ne peut cependant passer sous silence l’aspect positif du khat dans la vie sociale yéménite, une des seules distractions qu’on peut s’offrir, comme le souligne un rapport du Sénat.

Une sorte de rite autour duquel tout se fête, affaires, mariage, naissance, retour de pèlerinage ou de voyage. Les poètes en ont exalté les vertus et ses effets sociaux, comme en rappel du temps où le pays était connu sous le nom d’Arabie heureuse.

Longues siestes

De plus, le khat contribue à freiner l’exode rural, permettant aux paysans de rester sur leur terre, sa culture, étant bien plus rémunératrice que café, coton, dattes, légumes, qui peinent à s’imposer.

D’où un frein au développement agricole, le Yemen, seul pays le moins avancé du monde arabe, dépendant de l’aide alimentaire, et la paralyse dans d’autres secteurs économiques, les activités cessant ou sont sérieusement ralenties dès le début de l’après-midi.

Policiers sevrés

Face à une société inégalitaire, où l’appauvrissement de la population s’accroit, marquée par les violences quotidiennes d’Al-Qaïda, le gouvernement paraît désarmé devant ce khat, qui plonge ses administrés dans la torpeur.

Il a bien essayé d’interdire les entreprises qui fouillent les nappes, sans succès. Lance des campagnes anti-khat, prolonge la durée de travail des fonctionnaires, interdit de consommation policiers et militaires.

Épuisement en vue

Le nouveau président donne l’exemple, s’astreint à la cure. Des mariés tentent d’en interdire le plaisir durant les festivités, difficilement. Au rythme de la surexploitation de la ressource eau, l’épuisement total ne pourrait plus être qu’une question d’années.

Au moins les Yéménites peuvent-ils se réjouir qu’une de leurs personnalités, Tawakul Karman, « mère de la révolution , ait reçu le prix Nobel de la paix, la première femme arabe à recevoir cette distinction.