Le crapaud - nicolas Jacquette - Robert Fiess - Starck, l'écologie et la décroissance

Philippe Starck : Une écologie à visage humain

Fauteuil Ploof, tabouret Dadada,  lampes Haaa et Hooo, téléphone Alo, radio lalala, bouilloire Hot Bertaa, jouet Toto … Designer français contemporain connu dans le monde entier, inventeur prolifique et iconoclaste,  Philippe Starck se montre également très soucieux de  préservation de l’environnement, on connaît notamment son catalogue Good Goods pour la Redoute, catalogue des non-produits pour non-consommateurs !

Dans un livre récent, parmi les nombreux sujets abordés, Philippe Starck s’est confié notamment sur l’Écologie et la Décroissance, propos que « lecrapaud.fr » a le plaisir de reprendre ici.

L’écologie n’est plus une question

« L’écologie n’est plus une question. C’est un fait acquis. Il n’y a plus que les lobbyistes, les réactionnaires, les vendus et les imbéciles qui peuvent encore défendre des théories révisionnistes sur les problèmes écologiques. Reste qu’entre ce que l’on nous dit, ce que l’on en comprend, ce que l’on intègre et ce à quoi l’on se résout, les différences sont de taille.

Cela témoigne que notre nature profonde n’est pas encore tout à fait humaine. Elle demeure enfantine, si ce n’est animale : on a beau nous expliquer les choses de long en large, d’une manière extrêmement convaincante, nous ne finissons pas d’en parler… mais sans entreprendre d’action réelle.

On n’a plus le choix

Les urgences font qu’on n’a plus le choix. Cela étant, sur un plan théorique, j’ai l’impression qu’il y a eu en amont une erreur sur le procédé. On utilise l’expression anglaise « environmental friendly » alors qu’il devrait s’agir avant tout d’être « human friendly ».

Si on avait d’abord misé, avec autant de sérieux, d’arguments, de techniques, de force, de ténacité, sur le bien-être des humains, on n’en serait pas à ce stade. Le laisser-aller de l’humain par rapport à sa planète vient de sa propre détresse. On ne peut demander à un naufragé de faire attention à la propreté de la mer qui l’entoure.

Les humains au même titre que les animaux

J’aurais aimé que l’on considère les humains au même titre qu’une espèce animale en voie de disparition: car c’est ce que nous sommes. Toutes les générations ont le sentiment de se trouver à un moment charnière, vital, de basculement. J’ai la sottise de croire que la nôtre s’y trouve véritablement.

Bien que n’étant ni économiste ni historien, je pense que l’on n’a jamais eu à affronter une telle accumulation de problèmes. Heureusement que l’on ne voit pas très bien car il y aurait de quoi baisser les bras et se jeter par la fenêtre tant l’issue paraît douteuse. Tant de choses non solutionnées, et paradoxales…

Si les gens étaient plus heureux

Si les gens étaient plus heureux, il leur serait évident et facile de s’occuper de la nature. Or ce n’est pas possible: tout le monde vit trop dans l’urgence et le malheur pour penser à protéger la Terre. Cela demande efforts et volonté, or nous sommes peu volontaires et plutôt paresseux.

L’écologie, fait acquis en tant que nécessité, se situe à l’intérieur d’une bulle d’inutilité à peu près inefficace. Une fois de plus, on ne touche pas les vrais sujets: il n’y a ni prise de conscience, ni raisonnement, ni prise de responsabilité et de risque. Il n’y a que fuite et lâcheté.

Des moyens plus ou moins amusants

Nous avons trouvé des moyens plus ou moins amusants pour économiser de l’énergie, créer des appareils extraordinaires, mener de petites actions: nous avons été merveilleux. Nous l’avons été plus encore pour créer des éoliennes, des machines marémotrices, des cerfs-volants générateurs d’électricité par la vibration du fil… Chaque jour une invention nous rend babas devant notre génie.

Tout cela, d’après ce que je comprends, n’est que temporaire. En dehors de projets plus ambitieux comme, peut-être, le Terra Power de Bill Gates, qui ferait s’auto-consummer des déchets radioactifs dans la terre, on s’agite superficiellement.

Attendre les vraies solutions

On s’agite, en attendant de vraies solutions qui semblent devoir passer par la fusion nucléaire : la fusion froide. Elle existe et a relativement bien fonctionné en laboratoire. Mais on est dans l’incapacité d’en prévoir une exploitation avant quarante ou cinquante ans. Nous avons donc à tenir encore quelques décennies avec des bricolages.

Voilà une démonstration dramatique du retard d’application de la science au regard des besoins de la Terre. Bref, on crée de nouveaux territoires économiques, de nouveaux champs esthétiques, de nouvelles réflexions. Tout cela peut paraître bien rigolo, jusqu’à ce que l’on s’aperçoive que le résultat est proche de l’epsilon.

Malgré une agitation extraordinaire depuis deux décennies, les chiffres demeurent ridicules. On est là aussi dans le gadget. Je ne critique pas car j’en fais partie et c’est mieux que rien. Sait-on jamais, un miracle peut arriver…

La solution par la décroissance

A contrario de ce que j’aime, de ce que je pense et de ce que l’on est en tant qu’hommes, je dois m’y résoudre: la solution passe par la décroissance. Qu’il s’agisse d’une décroissance  raisonnée définitive, ou d’une décroissance temporaire, elle est nécessaire.

Le problème est qu’elle est contre notre nature; elle est la négation de ce que nous sommes, de ce que nous avons fait, de notre histoire. Car nous sommes des producteurs de rêves, d’idées, de désirs, de matière.

Un moment négatif salutaire

Exigerait-on de nous d’en rester là? De rentrer chez soi? Cela paraît impossible. On est donc forcé de parler de décroissance positive, et donc de considérer que ce moment négatif peut être salutaire. Ce n’est facile ni à comprendre, ni à intégrer, et presque irréalisable techniquement.

La question que je me pose est la suivante: quelqu’un a-t-il une réponse à ce paradoxe? Comment pourrait-on réaliser une décroissance positive? Cette question va devenir vitale. Le mur se rapproche assez vite, et l’évidence de la décroissance aussi.

… Tout peut trouver aménagement, si tant est que l’on anticipe. Le pire étant de se voir brutalement porter le coup de grâce, définitif. L’évidence de la décroissance est une position peu confortable. Alors je vais faire comme tout le monde: continuer à produire mes gadgets, sachant qu’ils font partie de cette croissance que je considère comme néfaste ».

Philippe Starck, Impressions d’ailleurs, éditions de l’Aube

 Un CO2 qui progresse de façon inquiétante

Comme pour confirmer Philippe Starck dans ses propos, et en prélude de la conférence de Doha sur le climat, la Banque mondiale tire la sonnette d’alarme : le niveau actuel d’émissions de CO2 rend quasiment intenable l’engagement de la communauté internationale de contenir le réchauffement du globe à +2 C. Ce dernier pourrait en réalité grimper à +4 C au cours du siècle et « dès 2060 », accompagné d’une cascade de cataclysmes.

L’Organisation météorologique mondiale annonce par ailleurs que la teneur dans l’atmosphère du gaz à effet de serre a atteint un nouveau pic en 2012, supérieur à la moyenne des années 1990.