Main basse sur les terres du sud

Vous vous promenez tranquillement près du Palais royal à Paris et vous voilà soudain confrontés à un problème de déforestation en Afrique. L’organisation Greenpeace invitait en effet les passants à détacher une des 1500 pièces d’un puzzle géant jusqu’à découvrir la photo d’une forêt intacte, afin de dénoncer le projet d’une vaste plantation de palmiers à huile au Cameroun.

Cet accaparement  de terres agricoles par les pays riches, appelé « Landgrabbing », interpelle de plus en plus les Ong mais aussi les autorités internationales.

Depuis 2000, le phénomène n’a fait que s’accélérer. 83 millions d’hectares de terres agricoles des pays pauvres sont passés dans les mains de groupes étrangers, soit 1,7 % de la surface agricole mondiale.

Ils sont 41 Etats qui sarclent ces territoires à leur profit, relevant d’économies émergentes ( Chine, Inde Brésil, Afrique du sud, Malaisie, Corée du sud) ou développées (Etats Unis, Israël, et plusieurs pays européens).

L’essentiel de ces appropriations foncières concerne l’Afrique (47 %) et  l’Asie (33%), au total 62 pays. Ce qui ressort d’un premier état global sur le sujet publié dans la revue PNAS, revue scientifique américaine.

La crise alimentaire de 2008

Pour ces investisseurs, il s’agit de produire de nouvelles ressources, afin d’assurer la sécurité alimentaire de leur propre pays – la crise alimentaire et la spéculation qu’elle a entrainé en 2008 est restée dans les mémoires. Disposant de gros moyens financiers, ils disent apporter en échange de la technologie sur place, du savoir-faire à grande échelle, de l’emploi et au bout du compte du « meilleur être ».

Ajoutant qu’ils acquièrent essentiellement des terres en friche et les rendent productives. Faux en partie. Près de la moitié des transactions concerne des terres déjà cultivées et un tiers porte sur des surfaces boisées (source Partenariat Land Matrix).

7 fois Manhattan

Le projet d’« Herakles Farm »  au Cameroun illustre parfaitement les déviances du « Landgrabbing ». Initiée par un groupe américain, la plantation de palmiers portera sur 73 000 ha, frappant une zone boisée ( 7 fois la superficie de Manhattan) , de plus à la lisière de 5 zones forestières protégées au cœur du bassin du Cameroun.

Cultiver la palme pour en recueillir l’huile, une activité traditionnelle historique, que les fermiers locaux pratiquent depuis des lustres, mais à un niveau artisanal. En y ajoutant cacao, maïs, légumes et fruits, écoulés sur les marchés villageois. Or, les futures limites de la concession ont été tracées en plein milieu des leurs petites exploitations, sans considération pour le droit coutumier.

Appropriation des terres et de l’eau

Pour le Oakland Institute (en collaboration avec Greenpeace international), cette déforestation massive, travestie en projet de développement durable par les Américains, risque d’entraîner de graves répercussions.

Les populations sont petit à petit exclues de l’usage d’une grande partie de leurs terres. Et voient s’aggraver une surexploitation des ressources, notamment celles de l’eau, avec des effets évidents sur la biodiversité et sur l’environnement. Car le développement d’immenses domaines industriels s’accompagne aussi d’une grave appropriation indirecte de l’eau.

Briser le silence

Selon Frederic Amiel, de Greenpeace France, « la terre, les forêts et les populations de la région se retrouvent littéralement à la merci de la compagnie américaine. La colère gronde, villageois et sociétés civiles se mobilisent mais ils n’ont droit qu’à intimidations, répression, voire détention ».

Ainsi, le directeur d’une Ong locale, et 5 de ses collègues ont été arrêtés et placés en détention, durant 48 heures, dans une cellule de 1,5 m2, dépourvue de lumière et sans toilettes. Il faut donc briser le silence.

1 dollar par an

Le combat sera ardu. Car le contrat signé pour Herakles Farm court sur 99 ans, avec seulement 1 dollar par an et par hectare de « loyer », selon l’Ong. Les opposants portent leur attention notamment sur la légalité même de la convention  signée en 2009 entre la SGSOC (filiale camerounaise de la firme américaine, SG Sustainable Oils Cameroon) et le gouvernement camerounais.

La nature opaque des négociations dans de nombreux cas est au cœur du problème posé par le « Landgrabbing ». La Banque mondiale a convenu qu’il existait des acquisitions abusives, en particulier dans les pays, dont la gouvernance des régimes fonciers est insuffisante (sans passer sous silence de possibles corruptions chez leurs responsables).

La Banque mondiale en cause

Souhaitant peut-être balayer devant sa propre porte. S’estimant lésées, des communautés ont déposé 21 plaintes formelles contre la Banque pour violation de leurs droits fonciers dans les projets qu’elle finançait, si bien que l’institution a décidé de les suspendre, alors qu’elle était la première à déclarer vouloir soutenir la petite agriculture locale.

Selon le rapport de « Notre terre, notre Vie » il s’agirait maintenant de corriger le tir,  pour s’assurer que les communautés concernées soient correctement informées et en mesure d’approuver ou de refuser un projet, hors les pressions causées notamment par l’attrait financier des investisseurs horsaing.

Le cas ougandais

En 2001, l’armée ougandaise fait irruption dans 4 villages, détruisant les maisons, confisquant les récoltes et chassant 392 familles, qui vivaient jusqu’alors de cultures café et vivrières. Voulue par le gouvernement, il s’agissait de vider les lieux pour l’installation d’une grande plantation de café, une première dans le pays.

10 ans après, les habitants n’ont jamais été correctement indemnisés. Paupérisés, ils se sont réfugiés à proximité de leurs anciennes propriétés, l’eau potable manque, les écoles détruites.

Ils n’ont trouvé aucune voie de recours contre le groupe allemand, Neuman Kaffee, complice de l’éviction forcée, ni auprès de leurs propres instances judiciaires ni outre-Rhin. Même la justice allemande a baissé les bras.