L’Europe citoyenne existe-t-elle ?

Glyphosate, qui dans le grand public connaissait cet herbicide au nom barbare voici quelques mois encore? Il appartenait à la Commission Européenne de décider de son avenir. Son renouvellement récent a déchainé un ouragan d’hostilité.

Illustrant pour les défenseurs de l’environnement un combat de plus en plus ardu contre les institutions et les industriels, qui les draguent.

Les armées s’étaient mises en marche, Ong et médias, soit ce qu’on appelle aujourd’hui la société civile, pour dénoncer et interdire ce composant du Round up, le plus utilisé pour le désherbage dans les grandes surfaces céréalières.

En France même, par le truchement d’associations de consommateurs, telles que SumofUS, 8 personnes sur 10 (peut-être vous même) en signaient l’interdiction immédiate. Comme dans d’autres pays voisins fortement agricoles.

1 million

Plus largement, une initiative citoyenne européenne dépassait dans le même sens le million de signatures, soit 1.320 517 exactement.

Ces initiatives du reste sont scrutées attentivement, car ne peuvent être sujettes à caution. Fortement réglementées et soumises à l’obligation de récolter au moins un million de signatures provenant d’au moins 7 pays sur les 28, chaque signature devant produire un numéro de carte nationale d’identité (ou de passeport) et être validée par les autorités nationales.

Convergence

La mobilisation gagnait même des associations d’anciens agriculteurs malades, des députés français et européens, nourrie par le scandale des Monsanto Papers et la polémique autour de l’évaluation scientifique.

« Tout convergeait pour une interdiction, sachant le glyphosate classé dès 1995 par le Centre national de recherche sur le cancer parmi les cancérigènes probables », déclare au Crapaud François Veillerette, de Générations Futures, associée dans le combat à Foodwatch et la Ligue contre le cancer.

Revirement

Patatras, le 2 décembre dernier, le couperet tombe. La Commission décide de prolonger l’usage de l’herbicide de 5 ans, 18 pays votant pour – dont l’Allemagne, supposée et annoncée comme hostile à la prolongation, face à 9votant contre, dont la France.

Le revirement allemand fait scandale, d’autant que le ministre de l’Agriculture, Christian Schmidt, a pris seul, semble-t-il, la décision de faire basculer le vote et, de ce fait, de déclencher dans son pays une véritable bronca…

Ambiguité

Télés et journaux ont cherché fébrilement l’explication. Schmidt a-t-il pris une initiative dans le dos de la Chancelière Angela Merkel, ou celle-là en était-elle plus ou moins avertie ?

Elle s’en défend, affirmant que les directives du gouvernement étaient claires pour un vote contre. Elle a donc « tancé » (sans plus) son ministre, issu de la branche bavaroise du parti chrétien-démocrate, proche des lobbies agricoles, dont on sait aussi l’hostilité pour une reconduction d’une grande coalition avec les socialistes.

Mais l’ambiguité demeure, laquelle a suscité un tel vent de violence outre-Rhin, que le ministre Schmidt a reçu des menaces de mort.

Consolation

Cependant le feuilleton du glyphosate, n’en déplaise à ceux qui saturent, n’a pas fini de mobiliser les esprits, tant il met l’accent sur les processus de décision complexes de l’Union européenne et sur le déni que vivent les initiatives citoyennes.

«  Nous avons peut-être perdu une bataille, mais nous ne baissons pas les bras. L‘affaire révèle au moins une chose, l’agriculture et l’alimentaire sont au cœur de nos questions de société », se console l’eurodéputé socialiste Eric Andrieu.

Faillite

Pour sa part, la députée écologiste Michèle Rivasi met l’accent sur la faillite des évaluations scientifiques au niveau des agences sanitaires de l’Europe et la nécessité d’une réforme approfondie.

«  Exiger des méthodes d’expertise bien définies, la crédibilité des données prises en compte, le libre accès aux résultats des études industrielles, trop souvent et abusivement protégées par le sceau du secret des affaires, l’indépendance des experts recrutés, en chassant ceux susceptibles de conflits d’intérêts ».

Transparence

Pour exemple avec l’Agence européenne de la sécurité alimentaire (Efsa), qui avait rendu un avis ouvrant la porte au renouvellement, mais, disent ses détracteurs, en se basant notamment sur des études confidentielles.

La Commission européenne assure vouloir en tirer une première leçon, en introduisant plus de transparence dans le processus de comitologie (sic), disons, pour faire simple, le processus d’homologation scientifique.

Sursis

Voici donc Monsanto et son glyphosate en sursis pour 5 ans, mais rien n’empêche de penser qu’à échéance, le feuilleton reprendra de plus belle, tant que les lobbies de l‘industrie agro-alimentaire auront table ouverte dans les restaurants cossus de Bruxelles.

La France, pour l’instant, maintient sa décision, veut se donner 3 ans au plus tard pour interdire l’herbicide sur son sol, indépendamment du verdict de la Commission. Le temps de mettre en place les alternatives possibles réclamées par les agriculteurs et les sortir de leur dépendance phytosanitaire.

Avec cette crainte de remplacer le glyphosate par une autre molécule, façon simple et facile éventuellement de botter en touche.