Les lumières de Sein

À la pointe sud de la Bretagne, l’île de Sein, déjà marquée dans son histoire par les nombreux naufrages qui ont endeuillé la proximité de ses côtes, le restera aussi dans la mémoire patriotique française. Dès 1940, 128 Sénans furent les premiers à répondre à l’appel du Général de Gaulle pour le rejoindre en Angleterre.

Voici que ses habitants se voient confrontés à un autre conflit, certes plus local, pour régler son compte éventuellement à Edf et son emprise sur l’électricité, qui alimente leur îlot.

Avec ses digues brisées, terrains balayés par les galets, trombes d’eau giflant toits et façades des maisons, Sein commence à redouter les tempêtes à répétition qui la frappent. Ici plus qu’ailleurs, avec une altitude moyenne de 1,50 m, les perturbations climatiques ne relèvent plus de la prévision scientifique mais de la réalité.

Tempêtes à répétition

Et cette montée des eaux, palpable, plonge la petite communauté, au caractère breton bien trempé, dans un bien regrettable conflit picrocholin. De toutes les îles du Ponant, Sein, la plus exposée, n’étant pas reliée au réseau, repose pour ses ressources énergétiques de 3 groupes électrogènes, brûlant du fioul, gérés par Erdf, installés dans le phare.

Fragilité, pollution

C’est le gardien qui en a la charge et c’est précisément lui, qui a mis le feu aux poudres, en prenant conscience de la fragilité de ce seul équipement, aussi de la pollution en CO2 qu’il génère (une panne a encore eu lieu en août).

«  Nous devrions être un modèle de développement en énergie verte, comme le sont d’autres îles européennes d’étendue similaire », avance-t-il.

Objectif 100%

Un projet prend forme. Avec ses 120 habitants l’hiver, l’île a tous les atouts naturels pour la libérer de ses groupes électrogènes, du vent , du courant marin, du soleil, y compris lorsque la population se multiplie par 10 l’été. En juillet 2013, une société voit le jour, Ile de Sein Énergies (Idse), avec 66 associés, dont une quarantaine domiciliés sur cette rude langue de terre. Elle vise un objectif de 100% de renouvelable.

La voie allemande

Un « horsain » la rejoint ? Patrick Saultier », qui a déjà mené à bien une réalisation de parc éolien citoyen à Plélan, près de Rennes, avec 80 investisseurs et en 4 années, en résultat positif aujourd’hui.

À l’occasion, il va se ressourcer en Allemagne, à Schönau, en Forêt Noire, l’un des meilleurs exemples d’une commune, totalement dégagée du fournisseur régional, qui produit sa propre électricité verte et parvient même à la vendre à 140 000 autres foyers allemands.

Monopole et lobbying

Dans un premier temps, Edf campe sur son monopole. En raison de son caractère aléatoire, la production alternative ne pourrait dépasser 30% de la production totale.

Puis elle dépêche des cadres venus de Paris pour une réunion publique et l’évocation d’un programme de1 à 5 éoliennes érigées sur l’île, bénéficiant d’un champ de batteries, qui couvrirait 50% de ses besoins.

Une discrète subvention permet de rallier, semble-t-il, l’ancien maire, d’abord favorable au changement.

Amendement en panne

Le débat entre temps a gagné Paris, avec l’aller-retour entre Sénat et Assemblée nationale d’un amendement (à la loi sur la transition énergétique), visant à donner aux îles de moins de 2000 habitants la possibilité d’opter pour un autre opérateur qu’Edf.

Rejeté par les députés, de retour sur la table du Sénat, sans suite pour l ‘instant, bien à la manière hexagonale, alors même que Ségolène Royale, trublion habituel, soutient le droit pour tous les territoires insulaires de monter des projets d’autonomie énergétique.

Zizanie au village

« Tour tourne maintenant autour de ce problème règlementaire », déclare Patrick Saultier au « crapaud »

Mais les initiateurs d’Idse n’imaginaient peut-être pas les tensions nées du débat. Une journaliste de Libération constate que le sujet, dans les rues comme dans les bars, est tabou. « Les gens ont du mal à communiquer, ils voudraient que ça bouge mais pas trop », lui déclare le boulanger.

Trou noir

Une bonne partie de la population accorderait sa confiance à Edf. Certains arguent que des efforts ont déjà été faits, ampoules basses dans les maisons, changement de l’éclairage public, un programme d’Hlm autonomes.

« La peur du trou noir », suggère les « autonomistes ». Ils aimeraient déjà changer mentalités et comportements pour mieux adapter la production à une demande spécifique.

Trop de verrous

Ne seraient-ce que des panneaux solaires installés sur les toits appropriés pour répondre aux 25% de courant servant à chauffer l’eau des douches durant le pic estival.

L’île pourrait être un laboratoire idéal pour de telles initiatives. Encore faudra-t-il faire sauter nombre de verrous, autant règlementaires que psychologiques. Idse pour l’instant fourbit les armes de la rentrée.