Le plaisir paysan

Initiés par le Président Emmanuel Macron, les États généraux de l’alimentation (EGA), se tiennent à Paris jusqu’à fin octobre, dans un relatif anonymat. De bien moindre ampleur, le Salon Tech & Bio, de Bourg-les -Valence offre à l’évidence un tout autre visage du métier de l’agriculture.

Est nommé parmi ses lauréats pour l’édition de cette année, Sébastien Blache, de Montelier, dans la Drôme, dont l’exploitation, le Grand Laval, offre l’un des plus bels exemples de ce que « retour à la terre » peut signifier aujourd’hui.

C’est un grand gars, le cheveu coupé ras, éminemment sympathique, ornithologue de formation, qui résume son parcours en peu de mots :

«  Je me suis installé sur 11 ha de terrains, avec la ferme intention de tout mettre en œuvre pour retrouver mes racines paysannes ( la ferme appartenait à des oncles). Cela m’a pris 9 ans, 3 ans de reconversion au bio et 6 ans pour la mener en boucle avec mon ancien métier…

Magie

… j’ai planté plus de 3 kilomètres de haies, creusé une mare, enherbé, placé des dizaines de nichoirs, ouvrant la possibilité d’une polyculture d’élevage. Pois chiche, lentille, caméline, fleurs des champs, brebis solognote, sainfoin, figuier, rhubarbe, ont fini par faire un tout…

… La magie de l’agriculture, c’est que tout est possible », ajoute-t-il.

Tournis

Faire le tour de son exploitation peut donner le tournis au néophyte de l‘agriculture circulaire. Parlons des brebis, de race Shropshirec, lesquels pâturent dans ses vergers et se nourrissent des fruits tombés à terre. Elles sont, dit-on, « désaisonnées » pour servir à la vente directe toute l’année.

Poulaillers sur roues

Une centaine d’autres, à viande (Solognote, Noire du Velay), bien rustiques, parviennent à contenir le parasitisme.

Dans des poulaillers mobiles – des roulotes d’assez bonne taille, les poules pondeuses  »recyclent » ce qui tombe des pêchers, poiriers, figuiers mais aussi les restes d’oléagineux laissés par la culture du tournesol et de la caméline.

Enherbements

Favorisées par des plantes messicoles, bleuet ou coquelicot, les abeilles sauvages pollinisent les rangs de céréales. La luzerne vient casser le cycle du chardon, tant redouté et assure en même temps l’autonomie fourragère.

L’agroforesterie est fructifiée deux fois, on plante millet, blé ou haricots en guise d’enherbements entre les alignements de figuiers.

Ravageurs

Mais Sebastian Blache n’a pas laissé derrière lui sa passion de l’ornithologie. Des haies garnies de ronces hébergent des fauvettes frugivores, qui participent à leur ensemencement naturel.

Accrochés aux arbres, des nichoirs accueillent mésanges et chauve-souris se nourrissant du papillon ravageur carpocapse en vol. Plus loin, l’on voit des mares propices aux libellules et aux amphibiens, à qui l’on confie la charge de pourchasser les insectes ravageurs.

Peur

Un système d’agroécologie, poussé dans ses retranchements. « Des collègues, et à plus forte raison des cultivateurs rompus aux méthodes traditionnelles me disent que ça leur fait peur la façon dont je travaille ». remarque-t-il au crapaud.

Prêt à se soumettre à une remise en question permanente sans échapper à des choix malheureux, ce qu’il appelle ses « bêtises « ». Dans certains cas, il a essayé des dizaines de cultures avant de trouver les associations adaptées.

Risques

Se souvient de 2 variétés de lentilles, un vrai flop, compensé par le beau succès du haricot rouge sec qui ne se faisait plus dans la région.

C’est aussi accepter de construire ses propres modèles. « L’agriculture française est déconnectée, le savoir-faire paysan s’est dissous dans la masse productiviste, dans des techniques véhiculées par les institutions « .

Mémoire

À la recherche d’un certain type de batteuse, il l’a trouvée par internet, un exemplaire trainant dans une grange chez un agriculteur du Béarn. Les Chinois la fabriquent encore.

« Quand j’ai un problème technique à résoudre, par exemple avec mes moutons victimes d’un parasite et que je ne trouve pas de solution ici, je fais appel à l’Institut technique algérien ou marocain, ceux-là gardent la mémoire des savoirs anciens ».

Envie

« Dans le bio, les erreurs ne pardonnent pas, on dispose de moins de possibilités de rattrapage, les cultures conventionnelles sont plus sécurisantes », note un participant suisse au Salon de Bourg-les-Valence.

Sebastien Blache le ressent différemment. Lui va dans ce qu’il a envie de faire, aucune contrainte face au temps ou à l’énergie qu’il y consacre. « Au contraire ils me nourrissent ».

Mouvement de fond

Dans une logique évidente, pour compléter son autonomie, il a également initié un magasin en vente directe des produits de son exploitation.

Tandis que le salon Tech&Bio manifeste un mouvement de fond, avec la présence de milliers de producteurs, fournisseurs et chercheurs. Sûrs qu’à chaque nouvel événement, type pollutions diverses, scandales alimentaires, débats (actuels) sur le glyphosate ou mal-être animal, la masse des acheteurs ne cesse de grossir.

Smic ?

Seul problème pour les pionniers tels que Sebastien Blache, la charge de travail problématique du bio et des revenus modestes.

Heureusement aidé de son épouse, il veut aussi donner la main à une jeune maraichère pour s’installer sur la ferme, en lui dédiant 4000 m2. Mais pour l’instant, remarque-t-il, « au-dessus du Smic, ça ne le fait pas. »