Le climat comme arme de destruction massive

En matière de destruction par les armes, les savants n’ont jamais manqué ni d’idée ni d’obstination. Recourir au climat pour défaire un ennemi n’a pas échappé à  leur esprit torturé. Ainsi, on a peine à imaginer une convention (ENMOD) pour empêcher, le cas échéant, le recours à une telle extrémité. Pourtant elle existe, on y a même consacré en novembre une Journée internationale .

Voici l’interview à ce sujet du journaliste Ben Cramer , qui enseigne la géopolitique et le développement durable

Cette convention régule l’utilisation de l’environnement à des fins militaires. D’où vient-elle ?

Durant la guerre du Vietnam, les forces armées Américaines ont tenté, lors de l’opération ‘Popeye’, d’utiliser l’arme météorologique pour faire pleuvoir et inonder la piste Ho Chi Minh (route passant par le Laos et le Cambodge et qui servait au transport des combattants et du matériel).

Plus de deux mille trois cents missions-pluies ont été menées sur Ho Chi Minh par l’escadron 54 de reconnaissance météo.

Après la divulgation de ces pratiques qui ont scandalisé le Congrès à Washington, Américains et Soviétiques se sont accordés pour y mettre un terme, du moins, pour adopter un code de bonne conduite.

Ils ont déposé à l’Assemblée Générale de l’ONU un projet de Convention sur l’interdiction d’utiliser des techniques de modification de l’environnement à des fins militaires ou toutes autres fins hostiles, convention surnommée ENMOD, contraction de « environmental modification ».

De fait, quelles armes la convention ENMOD vise-t-elle ?

Interdire le recours à des armes non encore utilisées sur les champs de bataille, ou presque, peut paraître dérisoire. Il n’empêche : nul ne peut exclure qu’un belligérant veuille modifier intentionnellement les conditions climatiques sur un théâtre d’opérations.

« La météo comme force multiplicatrice : Maîtriser la météo en 2025 » n’est pas un slogan mais le titre d’un rapport publié en 1996 par la US Air Force qui estime que c’est « peut être un champ de bataille d’une importance telle que nous ne pouvons encore le concevoir».

Le rapport disserte sur les meilleurs moyens de contrecarrer les plans de guerre d’un ennemi en déclenchant une tempête, ou une sécheresse, ou encore en supprimant l’approvisionnement en eau potable.

D’ailleurs, en 1997, le secrétaire d’Etat à la défense William Cohen exprime sa crainte de voir des actes de « terrorisme écologique ». Parmi ceux qu’il imagine ou plutôt qu’il projette figurent l’altération des climats, les déclenchements à distance de tremblements de terre ou d’éruptions volcaniques.

Concrètement, peut-on diriger par exemple des ouragans sur une cible ?

Le géophysicien qui dirige l’Organisation météorologique mondiale (OMM) à Genève, José Achache répond par la négative. Il précise toutefois qu’il est « théoriquement possible de les intensifier en augmentant les différentiels thermiques par des transferts de chaleur colossaux à la surface de l’océan et de les diriger en agissant sur les vents dominants à moyenne altitude».

Et la foudre ?

« Nous savons créer des précurseurs de la foudre en ionisant l’air dans un ciel d’orage à l’aide d’un laser mobile, explique Jérôme Kasparian, de l’Université de Genève. Mais il faudrait un laser très puissant pour parvenir à obtenir la foudre. L’attirer ou l’éloigner de sites sensibles est également faisable. »

A partir de là, d’autres questions viennent à l’esprit : Pourquoi ne pas recourir aux lasers pour découper “ sur mesure ” un trou dans la couche d’ozone au-dessus du territoire de l’adversaire ?

Alors, dans quels cas la convention peut-elle s’appliquer ?

Il existe de nombreux exemples, avec par exemple le recours aux explosions souterraines pour « libérer » des tensions tectoniques par exemple. Cela fait un demi-siècle que des études ont été menées sur le sujet.

Les conséquences environnementales d’un conflit nucléaire peuvent également renvoyer à ENMOD même si cela n’est stipulé nulle part dans les textes de la Convention.

Un hiver nucléaire

Dès 1982, des savants tels que Paul Crutzen du Max Plank Institut à Mayence, suggèrent que la fumée des feux et des poussières de surface générées par une guerre nucléaire –même partielle –pourrait générer un changement climatique global. Le concept d’hiver nucléaire – le spectre des années 80 – découle de ce scénario…

Les agissements de l’armée irakienne en février 1991 au Koweit ont constitué un  évènement révélateur. La presse s’alarma et pour cause : les fumées produites par les incendies de plus de 350 puits de pétrole étaient visibles à 400km. A l’époque, on s’est rendu compte que 50.000 tonnes de suie étaient relâchées dans l’atmosphère chaque jour. De quoi craindre un mini-hiver-nucléaire.

L’hypothèse a circulé, mais très vite, en dépit de l’obscurité, les experts ont révisé leurs évaluations à la baisse : la quantité de suie en suspension dans la basse atmosphère ne pourrait pas affecter de manière significative le climat global de la Terre. Dans cette affaire, ENMOD a été évoqué y compris par les juristes internationaux. Mais l’Irak n’était pas signataire de la convention…

Ce texte concerne-t-il les écocides, comme l’usage de l’Agent Orange pour détruire la forêt au Vietnam ?

Non, l’Agent orange visait à détruire la forêt, et cela relève de l’écocide, c’est-à-dire de la destruction d’un écosystème par une substance chimique. L’exploitation et le pillage des ressources naturelles n’entre pas non plus dans le cadre de cette Convention.

Ces histoires de manipulation du climat et de la météo semblent parfois irréelles. Depuis quand les armées s’y intéressent-elles ?

Dès les années 1930, grâce au concours de l’Institut Météorologique de Leningrad, l’Armée Rouge a développé un programme pour tenter de maîtriser la pluviométrie. Avant la seconde guerre mondiale, on conduit des recherches pour développer une bombe capable de provoquer un Tsunami

Dans les années 1960, le Président américain Johnson commande une étude sur le contrôle et la concentration du CO2 pour altérer localement le climat.

En 1958, le chef de la recherche météorologique aux United States Weather Bureau fait allusion dans un article de la revue Science à l’utilisation d’explosifs nucléaires dans le but de réchauffer le climat arctique via la création de nuages glacés réfléchissant les radiations infrarouges.

Proches de la science-fiction

A la même époque environ, des scientifiques soviétiques proposent quant à eux l’injection d’aérosols métalliques dans des orbites pas trop éloignées de la Terre afin de former des anneaux à l’image des anneaux de Saturne ; avec pour objectif ultime de chauffer et d’illuminer le Nord de la Russie, tout en faisant de l’ombre aux régions équatoriales. On n’est pas dans la science-fiction, on en est alors aux balbutiements de ce qui recouvre désormais la géo-ingéniérie.

Quant aux Chinois, dès l’an 2000, ils annoncent la mise en place d’un très officiel Bureau de modification du temps, mais il y a tout lieu de croire que le sujet ne lui avait pas échappé auparavant. Les premières recherches remontent à 1958.

L’Agence météorologique chinoise emploie officiellement 37.000 personnes ; parmi elles, plus de 10.000 auraient été chargées d’ensemencer les nuages en tirant des fusées ou des obus remplis d’iodure d’argent.

Cette question est–elle connue des écologistes ?

Les mouvements écologistes, qui devraient être familiarisés avec ces phénomènes, semblent avoir zappé ces prévisions et mises en garde. Pourtant, certains textes fondamentaux y font allusion, y compris la « bible » du développement durable, le rapport Bruntdland de 1987.. .

Quelle importance peut-on aujourd’hui accorder à cette convention ?

En admettant qu’un Etat signataire décide de recourir à des projets de géo-ingénierie, la convention pourrait s’avérer inappropriée, à moins que la communauté internationale ou qu’un Etat partie soit en mesure de démontrer le caractère non pacifiste des recherches menées. Mais la tâche sera rude, d’autant plus que la recherche (comme dans la plupart des conventions) n’est pas prohibée.

Même s’il n’y a que 85 Etats signataires, même si la France snobe le traité, même si les Etats parties ne se sont rencontrées que deux fois jusqu’ici, il y a fort à parier qu’ENMOD va revenir sur le devant de la scène. Face à cette géo-ingénierie et aux risques que ses promoteurs apprentis-sorciers sont prêts à prendre.

Le « crapaud.fr » remercie Julien Leprovost et GoodPlanet.infos

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