Europe agricole : l’impossible cure de jouvence

Le récent Salon de l’Agriculture, les discussions sur la Politique agricole commune à Bruxelles (PAC), l’utilisation outrancière en France, encore confirmée, des pesticides (merci les grands céréaliers), mettent l’agriculture au cœur de nécessaires réformes. Agronome et chercheur, Marc Dufumier, un des meilleurs connaisseurs du sujet, en rappelle ici les perspectives possibles, face à des enjeux très complexes.

« Revenons rapidement au lendemain de la seconde guerre mondiale. Déficitaires en produits considérés comme stratégiques : sucre, lait, viande, nous avons mis des droits de douane pour rendre plus chers les produits importés : le blé des Etats-Unis ou le beurre de Nouvelle-Zélande, par exemple.

Les agriculteurs français, notamment, en vendant leurs produits, ont pu épargner, investir et s’équiper. Cette politique fut tellement efficace que la France et l’Europe sont devenues auto-suffisantes et excédentaires.

Des subventions sans incitation

Mais l’Europe a continué de subventionner sa production pour maintenir des prix élevés aux agriculteurs, pratiquant ce qu’on appelle le dumping : nous avons subventionné nos exportations,  dénoncées par le GATT, puis par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), il a fallu y mettre fin.

Nos agriculteurs ont du s’aligner sur les prix internationaux, plus bas que leur coût de production, une perte de revenus compensée par des aides directes, que nous appelons aujourd’hui « droits à paiement unique ». Après avoir été couplées à la production (aide au lait, blé, sucre, etc), elles n’ont plus aujourd’hui de caractère incitatif.

Déficitaire en protéines végétales

Mais elles ont dissuadé les agriculteurs européens de produire des protéines végétales pour nourrir les hommes (lentilles ou haricots) ou les animaux (soja ou tourteau de soja importé des Etats-Unis, du Brésil et d’Argentine), pour lesquelles l’Europe aujourd’hui est largement déficitaire.

Des discussions qui contournent

Pour l’instant, le document issu de la Commission Européenne maintient les aides directes aux agriculteurs. Pour l’Europe, cela représente à peu près 50 milliards – 9,5 milliards pour la France. Il est également proposé une aide directe au revenu, sans caractère incitatif.

Si elle n’est pas plafonnée, il s’agira d’une aide en fonction d’acquis historiques, c’est-à-dire que ceux qui avaient plus d’hectares de blé ou de sucre bénéficieront de plus de subventions, tandis que ceux qui pratiquent le maraîchage, jamais protégés par les prix eux, auront très peu accès à ces subventions.

Appliquer aux 27

Sont également proposées des aides conditionnées par le « verdissement », mais assouplies pour s’appliquer aux 27 pays de l’Union, elles ne présentent que peu d’intérêts.

Prenez une proposition qui aurait été très intéressante : Mettre 4 cultures en rotation dont une légumineuse mais non retenue par la Commission, parce inapplicable aux 27 pays. Les aides ont été conditionnées à 3 cultures dans l’assolement et on oublie les légumineuses. Insignifiant.

Des aides pour la restauration collective

Il pourrait être utile d’utiliser les aides de la PAC dans un sens complètement différent : premièrement, une partie des aides pourrait revenir à nos agriculteurs via la restauration collective à travers une démarche contractuelle.

Imaginez que les usagers des écoles primaires, des collèges, des lycées, des restaurants universitaires, des cantines d’entreprises, etc. puissent avoir accès à de l’alimentation de qualité, à des produits de terroir bio dotés d’une grande qualité gustative, sanitaire et environnementale, sans avoir à débourser plus, ceci grâce aux subventions de la PAC.

… ou pour la protection de l’environnement

Cette restauration collective paierait plus cher des produits de haute qualité à des agriculteurs situés à proximité et pratiquant une agriculture de terroir, de saison et bio et qui seraient fiers de les vendre à des couches modestes qui n’auraient pas à dépenser plus.

Plutôt que des aides, les subventions par ailleurs pourraient devenir des rémunérations faites aux services et programmes pour la protection de l’environnement, qui transiteraient par les collectivités territoriales des pays.

Revenant aux agriculteurs via une démarche contractuelle, elles les aideraient à financer la renaissance de haies, l’agroforesterie, les intrants (engrais, désherbants) naturels, etc.

 Construire une nouvelle souveraineté

A partir du moment où l’Europe courageuse renoncera à subventionner nos exportations et à exporter des produits bas de gamme, elle pourra demander à se protéger de l’importation de protéines végétales (soja et tourteau de soja transgénique) en provenance du Nouveau Monde.

Tout remonte à 1992, lorsque nous nous sommes interdits de mettre des droits de douanes à l’importation du soja, lors des accords internationaux de Blair House. Pour de mauvaises raisons. Il s’agissait de maintenir le droit de subventionner directement nos exportations vers les pays du Sud.

Remplacer les énergies fossiles

Au nom du protocole de Kyoto, il est impératif au moins de réintégrer des légumineuses dans nos rotations et nos assolements, afin d’atténuer les émissions de gaz à effet de serre en Europe.

En effet, cela nous permettrait de régénérer naturellement les sols et d’éviter l’utilisation d’énergies fossiles pour fabriquer des engrais azotés de synthèse, qu’on épand sur nos cultures, sachant que l’épandage de l’urée, de l’ammonitrate et des sulfates d’ammonium est très émetteur de protoxyde d’azote.

Ce gaz, un protoxyde d’azote, est 300 fois plus réchauffant que le gaz carbonique en unité de volume. Il représente plus de la moitié de la contribution de l’agriculture au réchauffement climatique. Construire une nouvelle souveraineté européenne en matière de politique agricole commune, tel serait l’objectif ».

C’est probablement en juin prochain que se dessinera l’avenir de l’agriculture et l’alimentation européenne pour les 6 années à venir.

Remerciements à Good Planet Infos. Propos recueillis par Cécile Cros

A consulter, de Marc Dufumier « Malbouffe au nord, famine au sud, comment le bio peut nous sauver », aux éditions Nil, février 2012.

L’excellent et très complet dossier de la Fondation Hulot : « I feel good » pour une agriculture et une alimentation d’avenir.