Energie : Mille hydroliennes sous la mer

L’événement est presque passé inaperçu, ce premier salon Euromaritime, début février, à Paris. 180 exposants, 5000 visiteurs, lesquels se sont particulièrement intéressés à l’une des plus passionnantes batailles navales (pacifique celle-là) à venir, l’énergie hydrolienne.

« Après l’éolien en mer, c’est l’énergie marine la plus mature », avance un expert. Et, comme dans tout défi industriel, la bataille s’ouvre sur un grand Monopoly.

Les chantiers navals militaires DCNS ont canonné les premiers, lâchant 130 millions d’€ pour s’offrir un participation majoritaire dans le pionnier irlandais OpenHydro. Le vaisseau Alstom réplique sans tarder en bouclant l’acquisition du britannique Tidal Generation.

Une Europe de l’hydrolienne

GDF Suez n’entend pas rester absent de ces manœuvres navales proprement européennes. Il met en place une offensive industrielle, centrée à Cherbourg, avec l’allemand Voith et le constructeur CMN de Normandie. « Ce sera le gros sujet de 2013 », affirme le patron de sa division énergies renouvelables.

Une chose est acquise. La France et son littoral leur offre un formidable terrain d’exercice et éventuellement de réussite. Dans le seul Raz Blanchard, au large du Cotentin (et souvent redouté par les plaisanciers), le courant pourrait générer deux fois plus d’électricité que le réacteur nucléaire EPR en chantier juste en face à Flamanville (Manche). Entre flot et renverse, ce passage, l’un des plus puissants d’Europe, peut atteindre 5 à 6 mètres par seconde.

Des rotors de 2 étages de haut

Si Jules Verne n’y a pas songé, dans son roman fantastique de  « Vingt mille lieues sous les mers », la technique l’aurait séduit : Ressemblant à d’immenses réacteurs d’avion, de grands rotors immergés se mettent en mouvement grâce à la puissance des courants sous-marins, dans les 2 sens, selon les cycles lunaires.

Toutes les difficultés techniques ne sont pas maîtrisées pour autant. Il y a six mois au large de Brest, un prototype, modèle de l’Irlandais OpenHydro,  coule au fond suite à la rupture d’un treuil et n’a pas été remonté pour le moment. L’incident souligne la difficulté de manipuler des engins de plusieurs centaines de tonnes. Néanmoins.

La sympathie des riverains

D’ici à 2025, 2030, entre 1000 et 1500 de ces turbines devraient tourner à terme par 50 m de fond, arrimées sur des socles de béton de 800 tonnes. A raison de 3500 heures par an contre 2000 heures pour l’éolien, en bénéficiant d’une densité de l’eau 850 fois plus élevée que celle de l’air.

Pour le président du Syndicat des Energies renouvelables (SER), « la force de l’hydrolien, c’est sa prédictibilité». De plus, on s’épargne le risque de susciter la grogne de riverains, en écartant la pollution visuelle et les conflits dits d’usage pour la pêche, le tourisme ou le transport maritime des éoliennes en mer.

Une énergie cinétique

En surface des stations offshore se chargent de convertir l’énergie produite en courant continu, lequel est acheminé par câble vers la terre et transformé en alternatif, susceptible d’alimenter de 1 à 2 millions de foyers.

Contrairement aux hydroliennes, l’usine marémotrice de la Rance, qui vient aussitôt à l’esprit, n’exploite pas une énergie cinétique des marées mais potentielle, soit la différence du niveau d’eau de part et d’autre d’un barrage qui se vide et se remplit au fil des marées.

En fonction depuis 1967, elle offre une technologie stable, produit 500 GWh/an, mais n’est pas aisée à déployer en raison de l’envasement qu’elle provoque et du marnage supérieur à 5 mètres nécessaire à sa rentabilité. L’initiative n’a pas été reconduite.

Un énorme potentiel

Pour l’instant, Edf s’engage dans des essais en rade de Brest (Finistère) et à Paimpol-Bréhat (Côtes d’Armor). Gdf Suez entend tester de 3 à 6 rotors dans le Raz Blanchard. Également au Fromveur avec Sabella (, une start-up bretonne)

Et, comme pour toute nouvelle aventure technique, on rêve déjà d’un potentiel mondial entre 75 et 100 gigawatts, l’équivalent du parc électrique français, la France pourrait assurer 3 gigawatts », dit un spécialiste. Et 10 000 emplois créés.

Mais, n’allons pas trop vite en besogne, titre le journal Libération dans un article sur le sujet joliment titré « le jardin des hélices ».

La énième bonne idée sans lendemain

« La France a un potentiel pour devenir leader mondial, deuxième puissance maritime et deuxième gisement d’Europe d’énergies maritimes », souligne la ministre de l’écologie, Delphine Batho.

Le vice-président d’Alstom rappelle qu’Alstom  » a investi plus de 100 millions d’€ pour ses usines d’éoliennes offshore, si on veut promouvoir l’hydrolien, il faut un cadre favorable ».

D’où un appel du pied au gouvernement, les industriels souhaitent qu’il s’engage fermement dans cette voie (on se souvient des funestes contre-mesures prises pour le photovoltaïque solaire, coupant l’herbe sous le pied à l’époque de nombre d’entreprises nouvelles).

Fermes-pilote dans  le Raz Blanchard

La ministre s’est donc empressée d’annoncer que le gouvernement manifestera son intérêt rapidement, notamment par un appel à candidatures pour la réalisation de fermes pilotes dans le Raz Blanchard.

Complété d’un texte sur le rachat de l’électricité produite, fixé pour le moment à 15 centimes le Kw/heure (contre 13 à l’éolien offshore). « Insuffisant » jugent les acteurs. L’addition pour la seule ferme pilote de Paimpol-Bréhat sera de 40 millions d’€.

Prudence oblige

L’expérience amène en effet les investisseurs à une certaine prudence. «  La France manquera ses objectifs de développement des énergies renouvelables pour 2020 »,  constate le président du SER. On visait 23 % du système énergétique français d’ici à 2020, à regarder la tendance actuelle on devra se contenter de 17 et 18 % ».

Il y a urgence à redresser la barre et sans attendre une loi de programmation énergétique. A commencer, mal très hexagonal, par simplifier les réglementations.