Demain, des paysans sans terre ?

Rendez-vous annuel, le Salon de l’Agriculture à Paris tend à rendre crédit notamment au grand artisanat de l’élevage français. Mais il appelle aussi à pointer du doigt ruptures et graves inquiétudes.

Terre de silence, le suicide d’un agriculteur ne faisait pas de bruit. On en parle aujourd’hui, puisqu’un agriculteur – fréquemment des éleveurs –  met fin à sa vie tous les 2 jours en France. Une première statistique officielle l’a établi en octobre dernier.

Dette et bureaucratie

On en connaît les causes, isolement, pénibilité du travail, harcèlements administratifs, surtout le poids de la dette, car aucun exploitant ne peut échapper au besoin de modernisation, désormais confronté au cercle infernal des financiers, industriels et distributeurs.

Productivisme, tel est évidemment le grand mot d’ordre. A nouveau illustrée au Salon, vitrine de l’avenir triomphant, porté par la technologie et la mécanisation.

La terre ou le bidonville

Aussi, l’on ferait bien de prêter attention à la FAO, organisation onusienne pour l’agriculture et l’alimentation, insistant, peut-être un peu tard, sur la nécessité de remettre au centre des politiques agricoles, l’agriculture familiale.

Professeur émérite à AgroParisTech, Marc Dufumier rappelle à l’évidence que l’agriculture paysanne fixe la main d’œuvre sur ses propres terres, quand la mécanisation a tendance à vider les campagnes. En résumé, « Quand le chômage rural s’installe, on va direct au bidonville ».

Retour sur investissement

Pour lui, les États n’ont pas suffisamment investi dans cette agriculture-là, les paysans, eux, trop pauvres pour le faire. Et dans maints pays en développement, les dirigeants préfèrent faire appel aux capitaux étrangers, qui visent le retour sur investissement.

Le continent africain en offre un exemple parlant. Si l’agriculture y reste encore largement familiale, le modèle change notamment en Afrique du sud, laquelle a développé de nombreux fonds d’investissement, instruments financiers et marché à terme, qui en favorisent la tendance.

De 100 à 7 personnes

Les petites exploitations vont vers les marchés de niche, productions plus fragiles, bio ou fruits, les plus grandes font entente avec des groupes, comme le note le Cirad. Et la ferme de 2000 ha, qui employait une centaine de personnes auparavant, n’en compte plus que 7.

Soudain, le paysan n’est plus maître chez lui, devient salarié sur sa propre terre, ou une sorte de rentier qui ne travaille plus sur son exploitation.

L’Omo sacrifiée

Que dire encore de leur sort, quand les États eux-mêmes se mettent à bouleverser les campagnes rurales. L’Éthiopie, qui grandit vite, a décidé de développer une des ses productions-phare, la canne à sucre. En libérant des terres.

Précisément dans la Vallée de l’Omo, chère à tous ceux que passionnent les origines de l’homme. Sans égard au fait que des centaines de milliers de personnes seront chassées de chez elles, selon Human Rights Watch.

Des indigènes et alors

Vallée luxuriante, classée au patrimoine mondial, déjà cultivée pour la canne à sucre, elle abrite encore plusieurs tribus indigènes.

Les mouvements de population forcés par le gouvernement ne sont pas tous volontaires, note une Ong. Et l’on semble faire assez peu de cas des communautés indigènes et de leurs droits.

Table rase

L’agrobusiness y tourne déjà à fort rendement, depuis des années. On a fait table rase pour lui ouvrir les territoires.

3, 6 millions de terres sont passées entre les mains des investisseurs (chiffres 2011) et 2,1 millions supplémentaires sont mis à disposition. À des prix de location dérisoires et d’abondantes ressources en eau.

Le dilemne

La colère des populations délogées n’entrave en rien ces stratégies de conquête. Car l’Éthiopie entend bien industrialiser son secteur agricole, fouetter ses exportations et intégrer le clan des pays émergents.

Comment alors juxtaposer, ici et ailleurs, le maintien d’une agriculture rurale et l’inéluctable avancée du modernisme, telle est la question, le paradigme.

Le Brésil en pointe

Sous l’impulsion du Président Lula, le Brésil, pourtant largement dédié aux exploitations gigantesques, semble indiquer la voie, ayant pris conscience de l’urgence à maintenir un emploi rural.

Car en France comme là-bas, cultiver la terre n’a pas pour seul finalité de « produire », mais aussi de rendre d’autres services à la société, à savoir bonne gestion des territoires et protection de l’environnement.