Déglingués de labos

La médecine est gourmande. 2,2 millions, le nombre d’animaux qu’elle a sacrifiés en une année pour ses expérimentations (chiffre 2011). Les souris constituent à elles seules la moitié du cheptel.

Mais chacun a bien en tête le sort des primates, souvent chimpanzés, réputés si « proches » de l’homme, et les images, que véhiculent les associations de leur souffrance dans le secret des laboratoires pharmaceutiques.

Que deviennent-ils une fois mis au rebut, comme de vulgaires objets obsolètes ? Pour exemple, le Domaine d’Aiderbichl,  à Gänserndorf ( Autriche), y donne une manière de réponse.

Moritz a 35 ans. Il se hisse avec peine à cet arbre à grimper, s’aide de ses bras musclés et le voilà, au sommet, qui pousse un cri strident, que l’on peut entendre à l’autre bout du terrain.

Cela réjouit à chaque fois son « soigneur », Bettina, comme elle le raconte au magazine Stern : « Cela a pris des années pour lui faire retrouver l’usage de ses doigts et celui de grimper correctement ».

Propriété

Moritz, singe mis au service des hommes, alors propriété de la firme pharmaceutique Immuno AG… Après sa capture en Afrique, probablement en Sierra Leone, une vie qui se décline, en service actif, enfermé dans une cage de 4 m2, juste de quoi se tenir debout de temps à autre.

Pas de sol dur mais un grillage pour laisser passer ses besoins. Ni paille, ni lumière naturelle. Et l’isolation.

Des jours à attendre ces ombres à forme humaine, en combinaison grise de protection, calot sur la tête, masque sur nez et bouche, venant lui apporter sa pitance par un clapet d’ouverture.

Compassion

Cela fait 17 ans que le Domaine (« Gut ») Aiderbichl affirme sa vocation d’héberger des animaux blessés, abandonnés, sauvés de l’abattoir ou simplement en fin de vie. Une sorte d’Arche de Noë de la compassion.

Près de 5 600 têtes, chevaux, chèvres, cochons, chiens, oies, canards, chats, lapins et même perroquets, répartis dans 26 sanctuaires, principalement en Autriche (où l’initiative a pris jour grâce à Michael Aufhauser et Irène Florence) mais aussi en Allemagne, en Suisse et 2 en France.

Exigences

350 personnes s’activent dans les différents refuges, bâtis et organisés pour répondre au mieux aux besoins particuliers de chaque espèce. Offrir tranquillité, liberté et confort pour chaque bête recueillie.

Compagnons de Moritz, ils sont 33 chimpanzés rescapés à vivre à Gänserdorf, y trouvant une forme de retraite, après avoir survécu à des essais cliniques essentiellement autour des problèmes d’infection ( VIH et hépatite) et de recherche sur le cerveau.

Stress

Dans leur cas, le terme de liberté est relatif. Cantonnés dans un enclos de hauts murs en béton et de parois en verre résistant. Les visiteurs y sont rarement admis – quelque fois dans l’année des groupes triés sur le volet, le contact avec des inconnus leur causant trop de stress.

Depuis 12 ans, Bettina les accompagne dans un difficile process de retour à leurs réflexes naturels, notamment au contact avec leurs congénères. D’abord les mettre, par deux, en présence mais dans des cages séparées. Pour une prise de conscience de l’existence physique de l’autre mais sans contact.

Face à face

Puis ouvrir petit à petit la grille qui les sépare, mais au prix de 300 face à face renouvelés, avant que les soigneurs les laissent se rejoindre dans la même cage. Enfin leur faire accepter l’arrivée d’un troisième individu et, ainsi de suite, recréer un groupe.

Un protocole pas toujours couronné de succès. Certains n’y ont jamais réussi. Traumatisés, atteints de tremblements, de troubles de digestion, incapables de maitriser leur agressivité, ils blessent d’autres individus, un doigt arraché, une oreille mordue.

Regards

Dans les années 80 et 90, la firme Immuno Ag a fait son argent avec la production de plasma sanguin et de vaccins. Puis elle a voulu explorer les affections relevant de déficience immunitaire. En inoculant aux chimpanzés les virus du VIH et de l’hépatite précisément.

20 ans durant, elle a soumis leur organisme à la répétition d’anesthésies, prises de sang, prélèvements divers. «  Si l’on savait tout ce à quoi ils ont été exposés par ailleurs…», ajoute Bettina, dubitative .

Au point que la célèbre primatologue, Jane Goodall, déclarait au New York Times, qu’elle n’oubliera jamais, au terme de sa visite d’un de ces laboratoires, le regard de ces primates, « en profond état dépressif ».

Poids

Comme d’autres labos, la firme américaine Baxter, qui a repris Immuno AG, est bien consciente du poids moral et éthique endossé, quand on recourt aux primates pour ces tests. Si bien que, en guise de dédouanement, elle a déboursé les 3 millions nécessaires pour le nouvel enclos à Gut Aiderbichl.

Ainsi que les 50 € par individu et par jour que coûtent hébergement et soins des 34 pensionnaires. Un soutien financier censé prendre fin en 2019.

Perdus

Bettina et ses collègues ne doutent pas que l’on trouvera une solution pour leurs protégés. Ils voudraient aussi accueillir les 10 macaques, auxquels on a gentiment fait respirer les gaz des moteurs diesel truqués de Volkswagen. Apparemment, personne ne sait ce qu’ils sont devenus.

NB : De nombreuses associations ou fondations, celle de Brigitte Bardot, combattent résolument le recours aux animaux pour l’expérimentation clinique. En 2015, l’initiative Stop Vivisection, avec plus d’un 1 300 000 signatures dans toute l’Europe, est rejetée par le médiateur européen. Cependant une directive incite les labos à mieux encadrer les tests, tout en cherchant des techniques alternatives, notamment avec les cellules souches.

 L’article est paru dans le No de Stern du 1/3/2018