Dans le Quercy, cette tache qui éclaire le ciel

N’allez pas trop vous promener de nuit dans les communes situées dans le Parc naturel régional des Causses du Quercy ( Lot). Ce n’est pas que vous risquez d’y faire une mauvaise rencontre – le loup n’y a pas encore migré – mais vous serez surpris de la nuit obscure qui vous attend.

L’un après l’autre, ces villages, au nom qui chantent le terroir,  déploient ce qu’on appelle là-bas, une « trame noire », une action délibérée contre la pollution lumineuse nocturne.

Il s’agit d’éteindre l’éclairage des rues passé minuit, comme l’a fait le plus récent d’entre eux, Vidaillac, 166 habitants, essentiellement agricole, 5 lampadaires tout de même.

Une fratrie communale

L’intention n’est pas l’économie budgétaire, de faible impact, mais par » conscience écologique et solidarité avec le territoire », dit son maire.

Désormais, le tiers des 102 communes du Parc jouent le jeu avec Vidaillac. Cette fratrie communale vient renforcer une bénédiction inopinée, que les animateurs du parc ont su mettre à profit.

Un triangle comme calqué sur le parc

Voici en effet qu’apparaît dans les gazettes en 2002 une carte, publiée par la grande revue Ciel et Espace, signalant la qualité du ciel nocturne en France, dans laquelle se distingue à l’œil nu un « triangle noir », zone de forme triangulaire comme calquée sur le territoire du parc régional.

Les Causses du Quercy sont derechef classées « meilleur ciel de France », le fameux « Triangle noir » est né et l’on ne chipotera pas sur le fait que les calculs des scientifiques américains et italiens, auteurs de l’observation étaient, disons, discutables.

La peur du noir

« Nous avons très vite compris que l’observation d’un ciel dégagé la nuit des pollutions lumineuses terrestres était un patrimoine à préserver, sur lequel évidemment communiquer, et un atout touristique, déclare au « crapaud « , la chargée de mission, Agathe Kühnel. Notamment pour attirer  les amateurs d’observation astronomique.

L’Association pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes » (ANPCEN) est évidemment partie prenante de la « trame noire ». « L’idée n’est pas de tout éteindre, il faut garder à l’homme une vie agréable », remarque son délégué régional. Malgré cette « peur du noir » toujours sous-jacente, les villageois consultés n’ont pas été difficiles à convaincre.

Le souvenir de la lampe populaire

Car la démarche n’est pas sans poser des questions : problèmes de sécurité, des biens, des personnes, de circulation… Et si certains, poussant le bouchon un peu loin,  peuvent craindre que le développement durable – et les économies d’énergie voulues par les écologistes, notamment la fin du nucléaire – risque de les ramener à allumer des bougies le soir et à se chauffer au petit bois, on peut leur rappeler qu’au début du siècle dernier, l’usage de la lumière est encore strictement réglementé.

Dans les foyers urbains, une lampe par logement, dite « lampe populaire », pour éclairer la pièce principale, dont l’usage est limité jusqu’à 23 heures et de bon matin.

Le monde rural attendra longtemps encore la fée électricité, certains hameaux en altitude ne seront branchés qu’après la 2ème guerre. Le souvenir de ces villages sans éclairage nocturne reste présent dans certaines mémoires.

Agir aussi pour la biodiversité

Au-delà de la signature d’une charte (on peut aussi participer au concours des villages étoilés ), et de l’intérêt touristique, le parc a décidé de jouer auprès des mairies et des habitants l’atout environnemental, entre autres par des conférences sur les effets de la pollution lumineuse sur la biodiversité.

« Il faut laisser à la nature  la possibilité d’avoir un fonctionnement normal », ajoute l’ANPCEN. Un répit ne serait-ce que de quelques heures.

Les luminaires perturbent les habitudes des insectes, chauve-souris, papillons de nuit, dans certains cas leur manière de s’alimenter, de chasser leurs proies, leur habitat. Elles perturbent aussi les migrations des oiseaux.

La trame s’agrandit

Entre temps, la « trame noire » agrandit sans cesse son aire. Le très pittoresque site de Rocamadour a déjà entrepris de ne plus éclairer ses monuments la nuit. La commune de Cahors, le « gros morceau », et celle de Figeac planchent sur la question, ne serait-ce qu’à modifier leurs luminaires. Comme l’ »agglo » de Toulouse.

Et au pied de l’Observatoire du Pic du Midi, on entend mettre en place un premier site labellisé « réserve de ciel étoilé ».

Visées, les enseignes des commerces

L’accès à la lumière, signe de progrès certes, disait-on. Mais rien n’empêche d’en dénoncer les excès, notamment dans le domaine publicitaire, comme le font, en ville cette fois, de petits groupes de militants très actifs autour du Clan du Néon ou Pêcheurs d’énergie.

Profitant d’un flou juridique, de nuit ils parcourent les rues et éteignent les enseignes de commerce restées allumées, en abaissant les interrupteurs en hauteur situés à l’extérieur des devantures, une disposition pour faciliter une éventuelle intervention de pompiers.

La publicité trop visible

Les actions sont plutôt ludiques, souvent filmées et postées sur des sites de partage. Mais l’argumentation veut frapper fort. « La consommation électrique a un impact direct sur l’environnement, donc notre vie. La publicité est la plus visible. Un panneau lumineux consomme plus qu’une famille de 4 enfants ».

« On incite lourdement le consommateur à la réduction de ses besoins d’énergie, prône de son coté l’association, dans le même registre,  Zéro Watt,  mais on reste passif devant tant de gaspillage, enseignes, publicités, vitrines éclairées toute la nuit. Les éteindre est un acte légitime de désobéissance civile et de bon sens ». Donc «  Zéro Watt pour la pub, on éteint tout ».