Le crapaud - nicolas jacquette - livre Robert Fiess - indiens

Celui qui marche dans la beauté

Idéalisés en Europe, les Indiens d’Amérique (Amérindiens) étaient présents dans nombre de publications, il y a une vingtaine d’années. L’intérêt semble s’être dissipé.  Pourtant leurs « sages » peuvent encore nous conduire sur le chemin, trop oublié chez nous, d’une plus grande harmonie avec la nature.

Pour les Indiens Navajos, le paysage des ancêtres, la terre aride d’Arizona, ses canyons vertigineux et ses drôles de buttes érodées de Monument Valley, a un sens et un pouvoir. Et « quand quelqu’un vit dans cette harmonie, on dit qu’il marche dans la beauté ».

Vivre en parfaite communion avec la nature, se fondre en elle, reconnaître son pouvoir et accorder toutes ses pensées, tous ses actes à son rythme et à ses exigences, c’est l’expérience que Friedrich Abel a tenté et réussi.

Rêves d’enfant

Jamais ce jeune ingénieur germanique promis à un avenir brillant et tout tracé, qui pourtant rêvait enfant, de devenir indien, n’aurait imaginé gagner son paradis auprès des rochers et des arbres dans la solitude d’un canyon perdu sur un bout de terre en lisière de la réserve navajo au sud-ouest de l’Amérique.

S’il ne fut pas le premier à vouloir fuir le monde dit civilisé pour rejoindre « la vie sauvage » idéalisée des Indiens d’Amérique, en quête d’une sagesse indigène, ce récit n’a vraiment rien d’un viatique pour dépressif en mal d’identité et de raison de vivre.

Un long chemin

On est loin des images d’Epinal. C’est sans concession qu’il livre la réalité crue d’un monde en déperdition, déchiré entre la survivance des rites anciens et le mal-être d’une jeunesse rongée par alcool et chômage dans les villes.

Pas d’apparition de grand Manitou, pas de révélation divine mais un long chemin d’introspection d’abord puis vers la compréhension minutieuse d’une culture, d’une langue vernaculaire et d’un mode de vie qui ne peut être intellectualisée.

Éloignés de l’essentiel

La très belle leçon de vie de ce livre émouvant sous la plume de Robert Fiess peut se résumer en une phrase prononcée par Wayne, l’homme-médecine qui a pris Friedrich sous son aile quand il tente de pénétrer les secrets navajos et de les verbaliser : « Tu ne penses qu’avec ta tête… Nous les hommes savons peu de choses. Sur cette terre, chaque animal sait mieux se tirer d’affaire que nous ».

Conditionnés par la course à la consommation, les chances de carrière, la morale bourgeoise, nous nous sommes, nous les Blancs, éloignés de l’essentiel.

Derrière nous, une terre dévastée

Sans cet engagement dans une relation active avec les forces de la nature, nous ne sommes pour les Indiens que « des voleurs condamnés à errer sur terre inlassablement ».

La mine défaite, nous servant partout sans jamais demander, pillant et détruisant, accordant à nos personnes une importance telle jusqu’à assimiler nos propres besoins à ceux de la terre entière, nous moquant complètement de savoir si nous laissons dernière nous une terre dévastée », affirme avec force Celui qui marche dans la beauté.

L’initiation au culte du peyotl

Friedrich Abel a vécu avec des Navajos et fut l’un des rares Européens à pénétrer au cœur de leurs cérémonies traditionnelles à force de patience et de volonté de témoigner sa soumission inconditionnelle à une nouvelle forme de pensée.

Six mois de solitude au fond d’un canyon d’abord puis les contacts avec le jeune Lee écartelé entre culture indienne et lumières de la ville, et enfin avec la famille de Wayne, homme-médecine qui fera son initiation au culte du Peyolt, ces bulbes de cactus aux pouvoirs hallucinatoires, fondement de la Native american church reconnue par les pouvoirs publics américains pour les seuls Navajos.

4 hogans de ses propres mains

« J’ai connu Friedrich Abel quand il était journaliste pour l’hebdomadaire Stern en Allemagne », indique Robert Fiess qui fut pour sa part le créateur de l’édition française du magazine Géo.

Il s’est rendu plusieurs fois dans les Hogans, huttes rondes traditionnelles des Navajos que son ami avait construits de ses propres mains. « Il en a construit quatre au fil des années et était ravi d’y accueillir ses amis européens de passage quand on avait la chance de le trouver.

… Je lui ai proposé de raconter son histoire dans une sorte de reportage que j’ai d’abord écrit à la troisième personne. Mais le livre était plus fort à la première personne et je l’ai réécrit avec l’accord d’Abel en employant le je. »

Un héros picaresque

Bien plus qu’une observation de la culture indienne, Celui qui marche dans la beauté est un parcours initiatique qui fait d’Abel un héros picaresque avide de partage et d’identification. Il est irrémédiablement changé.

Aujourd’hui à la retraite, l’ancien ingénieur en recherches pétrolières, ancien journaliste devenu, après son immersion indienne, citoyen américain et gardien de la frontière mexicaine, ne quittera plus jamais son désert d’Arizona qu’il contribue à préserver.

Françoise Kunzé, du journal L’Union de Reims, 14/10/12

Friedrich Abel et Robert Fiess. Celui qui marche dans la beauté. Indiens de tous pays. Collection nuage rouge. 184 pages. 19,50 euros.