Abeilles, la disette

L’Union européenne vient enfin d’élargir l’interdiction de 3 néonicotinoïdes à toutes les cultures en plein champ pour les 28 pays de l’Union. Sous la pression d’une mobilisation citoyenne probablement historique.

Aidées des réseaux sociaux, 5 Ong ont réussi, après 7 ans de lutte, à mobiliser près de 650 000 signatures dans toute l’Europe, accompagnées d’actions d’éclat à Bruxelles.

Car les apiculteurs français se souviennent de la catastrophique année 2016. Moins de 10 000 tonnes de production contre 35 000 dans les années 95 (Unaf). 300 000 ruches meurent chaque année, faute essentiellement aux frelons et pesticides.

De plus, l’Assemblée nationale vient de refuser d’inscrire dans la loi la sortie du glyphosate, très dangereux herbicide, en dépit d’une promesse présidentielle.

Face aux fléaux que vit ce secteur, un apiculteur du sud de Paris, Daniel Pepers, dit, pour le crapaud, son expérience de terrain.

 

Daniel Pepers : La situation ne s’est pas améliorée, les pertes pendant l’hiver sont considérables. Qu’on ne se leurre pas, les insecticides néonicotinoïdes sont toujours utilisés par les agriculteurs malgré les dispositions européennes – qui ne peuvent avoir d’effet immédiat, et le frelon asiatique sévit plus que jamais

lecrapaud : Ces pertes, un choc à chaque fois …

D.P : Ça se voit tout de suite, avec les insecticides, les ruches sont vidées, il n’y a plus rien dedans. Avec les frelons, il reste des paquets d’abeilles mortes au fond et d’autres accrochées aux dernières cellules de couvain, la reine au centre, tout est agglutiné sans vie…

lc : Les frelons (vespa velutina), de redoutables prédateurs. ?

D. P : Il faut voir leur assaut devant les ruches, en font le siège à l’automne. Essaient de rentrer, volent dessous, volent dessus, en stationnaire aussi, attrapent les butineuses qui arrivent avec du pollen ou du nectar, les ouvrières ne sortent plus, un stress énorme, la trouille noire de se faire manger et la conséquence, un déficit total de nourriture l’hiver. Ce qui est étonnant, avec le froid qu’on a connu chez nous cette année, on pouvait espérer une destruction importante de femelles frelons fondatrices, pas du tout.

lc : Vous avez des dégâts vous-même ?

D.P : Bien sûr, sur un seul site, 18 ruches perdues. 2 mois durant, j’ai observé 5 frelons positionnés devant chaque ruche qui tentaient de se saisir des abeilles, leur couper la tête et le thorax, siège de l’énergie chez elle… Sans parler des 6 ruchers que l’on vient de me voler en Forêt de Fontainebleau.

lc : Comment lutter contre sachant leur expansion fulgurante ?

D.P : Les industriels essaient de trouver des trucs, il y a plus simple. Au printemps, quand les femelles fondatrices commencent à constituer leur nid initial, placer des pièges jusqu’à 4, voire plus par ruche, les changer tous les 15 jours. Vous prenez une bouteille vide, y mettez 1 cl de grenadine, 25 cl de bière et un bouchon spécial qui empêche l’eau de rentrer. Vous l’accrochez dans les branches d’un arbre, un peu cachée, mi-ombre, mi- soleil…

lc : Finalement, à la portée de chacun ?

D.P : Les mairies devraient diffuser l’information partout, si tout le monde s’y mettait, on y arriverait. Je constate cependant qu’il y a des résistances, notamment du côté des chercheurs qui travaillent sur le frelon et craignent de rater des subventions nationales ou européennes.

 lc : Le frelon n’est pas absent en ville ?

P.D. : En ville, les femelles mères nidifient dans les cabanes, les haies riveraines, à 1, 5 m du sol, les jardins, où des petits enfants jouent au ballon… Dans les tilleuls des cimetières, souvent infestés, ils se délectent des chenilles. Plutôt le boulot de ces petits oiseaux qu’on aime bien. Cette baisse du nombre d’oiseaux est largement constatée, encore un exemple de perte de la biodiversité.

lc : Autant une cause de santé publique et de défense de la nature dans son ensemble.

D.P : Oui.

lc : Revenons sur le bannissement des néonicotinoïdes par l’Union européenne…

D.P : Vous interdisez un produit chimique à usage agricole, mais vous oubliez les stocks, donc on en aura encore l’usage pendant 3 ans au moins… Se dire aussi que les chimistes toujours devant, pour 3 molécules interdites, 3 nouvelles apparaissent et 3 métros de retard pour le législateur malgré ses bonnes volontés.

lc : Parlons du Varroa destructor , cet acarien parasite, qui porte trop bien son nom…

D.P : Sa multiplication est également inquiétante. Surtout en cas d’importations d’essaims. À mon avis, les centres de recherche sont un peu fautifs pour avoir fait venir des essaims infectés dans des zones pas atteintes. Personnellement, j’ai eu des ruches « varroosées » (varroa jacobsoni ), pour certaines, les dégâts devaient se manifester véritablement en 1991/92, je les ai trouvées mortes en 1985, le 15 février, 6 ans plus tôt, je m’en souviendrai toute ma vie.

lc : Autre cause, la baisse des ressources naturelles, de territoires, leur « réservoir » alimentaire.

P.D. : Pour qu’une ruche puisse vivre et survivre , il faut 1a continuité florale. Or, dans toutes ces plaines à céréales ou betterave, il n’y a plus rien, vide de biodiversité, plus de haies, plus de bosquets, où on peut nidifier, alors qu’on y trouvait aubépines, acacias, ronces, endroits à subsides pour elles. .

lc : Que pensez-vous de ce nouveau label, destiné aux communes, les « ApiCité » qui encourage notamment l’interdiction de produits phytosanitaires dans les jardins publics.

 D.P –Pourquoi pas, mais les traitements à base d’herbicides n’ont aucune incidence sur nos abeilles. Je préférerai que les communes se lancent à fond dans l’éradication du frelon asiatique… Et qu’elles réfléchissent à leurs programmes de « verdissement ». Voyez, on plante des cornouillers ou des arbres fruitiers issus de l’ingénierie, qui n’ont pas de nectar dans leurs fleurs, il faudrait des saules, des érables, ceux-là sont utiles… Regardez aussi les trottoirs pleins d’herbes, les rigoles qui s’écoulent mal, les gazons pas tondus, se développent ainsi de nombreuses plantes invasives, liseron, pissenlit, chardon, zéro intérêt mellifère. Mais pas le trèfle blanc, que les abeilles adorent.

lc :  On évoque beaucoup ces citadins qui installent des ruches sur leur balcon ou leur coin de jardin

D.P : L’intention est très bonne, mais attention. Ces personnes ne luttent pas contre les invasifs, virus et maladies. Des ruches mal traitées sont dangereuses, leur population va polluer celles des apiculteurs qui font ça sérieusement. Se former, bien apprendre notre métier, en assumer toutes les obligations, oui. Pendre une ruche, y mettre un essaim pour avoir du miel et croire que le tour est joué, non…

lecrapaudaloeil Après avoir découvert la présence de glyphosate dans la production de miel, un syndicat d’apiculteurs décide de porter plainte contre Monsanto

crapaudpratique : Si vous voulez contribuer à la lutte contre le frelon, procurerez-vous les bouchons spéciaux pour les piéger en bouteille chez un apiculteur, au marché par exemple.